Des images satellites montrent les J-36 et J-XDS opérant depuis Lop Nur, signe d’une montée en puissance des programmes de sixième génération chinois.
En Résumé
Des images satellites commerciales ont identifié deux chasseurs furtifs chinois sans empennage — J-36 (tri-réacteur, grand delta modifié) et J-XDS (bi-réacteur à aile « lambda ») — opérant depuis la base isolée de Lop Nur. La piste y mesure environ 5 000 m. Le site, déjà lié aux planes spatiaux réutilisables, est en extension rapide (hangars, apron, bâtiments). Les dimensions estimées placent le J-36 (environ 19,8 m d’envergure, 18,9 m de longueur) dans la catégorie « lourde », au-dessus des Flanker (env. 14,7 m d’envergure). Le J-XDS est plus compact (≈ 15,2 m d’envergure). En parallèle, la Chine accélère ses essais de drones avancés à Malan, dont un grand « cranked-kite » et une variante navalisée du GJ-11 (« GJ-21 »). L’ensemble suggère une industrialisation méthodique des briques de furtivité, propulsion et Collaborative Combat Aircraft.

Le site de Lop Nur et l’industrialisation des essais
La base située près de Lop Nur concentre trois attributs clés : isolement géographique, très longue piste (≈ 16 400 ft, soit ≈ 5 000 m) et infrastructures modulaires. Les dernières vues indiquent l’agrandissement de l’apron central, de nouveaux hangars aux deux extrémités et un faisceau de bâtiments techniques vers le sud-est. Ce schéma épouse une logique d’« aéro-campus » de tests : séparation des flux (avions expérimentaux, drones, logistique carburant), cellules de préparation capteurs/propulsion, et zones de confidentialité accrue. Le choix d’exposer brièvement les cellules à l’air libre en plein jour — malgré l’imagerie commerciale régulière — suggère un arbitrage assumé : profiter de fenêtres météo et de créneaux d’essais sans immobiliser la campagne pour des contraintes de signature visuelle. L’historique du terrain avec les planes spatiaux réutilisables, déjà évoqué en 2020, a servi de catalyseur : une piste très longue réduit les marges de risque à l’atterrissage d’engins lourds à finesse élevée et prépare des profils d’approche pertinents pour prototypes à charge alaire importante. À court terme (12-24 mois), l’achèvement des hangars multiples laisse prévoir la cohabitation de plusieurs lignes d’essais : cellules habitées de sixième génération, drones CCA et plateformes d’essais capteurs/liaisons de données. Cela rapproche Lop Nur d’un équivalent chinois d’« Area 51 », avec une spécialisation plus marquée sur l’hybride espace-air et l’autonomie.
Le chasseur J-36 : architecture, dimensions et hypothèses propulsives
Les mesures dérivées d’images satellites donnent au J-36 une envergure d’environ 19,8 m et une longueur proche de 18,9 m. La voilure delta fortement modifiée, sans empennage vertical, vise la réduction des échos radar en azimut et en élévation, tout en offrant des volumes internes conséquents pour carburant et soutes. Le choix d’un schéma tri-réacteur est atypique : il peut répondre à trois contraintes techniques — 1) maintenir une poussée totale élevée avec des turboréacteurs de diamètre réduit, donc mieux « flushés » dans la cellule ; 2) répartir thermiquement les panaches pour abaisser la signature infrarouge ; 3) offrir une redondance propulsive lors d’essais précoces. Les entrées d’air alignées avec la flèche du bord d’attaque laissent attendre des conduits en S et des traitements RAM dans les conduits. À masse au décollage équivalente à un F-111 (≈ 21-24 t à vide historiquement) mais avec matériaux composites et commandes de vol modernes, on peut projeter une charge utile interne de l’ordre de 2-4 t sur rayon de 1 500-1 800 km sans ravitaillement, à ajuster selon le rendement des moteurs et la fraction carburant. La géométrie sans dérive exige un contrôle de lacet assuré par différentiel de poussée et surfaces mobiles marginales ; cela impose une loi de pilotage robuste et une suite de capteurs inertiels/fusion de données mûre. L’ensemble cadre avec un démonstrateur de pénétration à longue portée, apte à emporter des capteurs ISR passifs/actifs et des munitions stand-off, ou à agir comme « quarterback » d’un paquet CCA.
Le démonstrateur J-XDS : rôle, gabarit et complémentarité
Le J-XDS apparaît plus compact (≈ 15,2 m d’envergure) et plus fin, avec aile dite « lambda » : flèche marquée à l’emplanture puis décroissance vers les saumons, optimisée pour retarder l’onde de choc en transsonique tout en ménageant des bords de fuite continus pour le contrôle. La bi-propulsion réduit la complexité par rapport au tri-réacteur, abaisse la masse et simplifie la maintenance en phase d’essai. Sa taille le place dans la classe des chasseurs lourds, mais en dessous du J-36, ce qui suggère deux philosophies : l’une orientée rayon d’action et emport interne élevés (J-36), l’autre axée sur la manœuvrabilité en haute altitude et la gestion fine de la signature sur des profils plus courts (J-XDS). Des séquences récentes près de Chengdu montrant un vol en patrouille avec J-20 vont dans le sens d’expériences de « mix-gen teaming » : un cinquième-génération opérant en éclaireur/relay et un sixième-génération testant des liaisons discrètes, du ciblage partagé et la répartition dynamique d’armes. En métrique opérationnelle, cela se traduit par : délai capteur-tireur < 1 s sur 150-200 km, latence réseau < 50 ms intra-paquet, et gestion adaptative de LPI/LPD (Low Probability of Intercept/Detection). Le J-XDS peut aussi servir de banc d’essai pour des antennes conformes et des capteurs ESM élargis, nécessaires pour une SA (situational awareness) multi-bande sans pénaliser la SER.
Le réseau d’essais : Malan, grands drones et montée en gamme CCA
La Chine n’investit pas uniquement à Lop Nur. La base de Malan (Xinjiang) montre, depuis plusieurs années, des alignements de drones opérationnels et expérimentaux, et plus récemment l’apparition d’un très grand « cranked-kite » de type GJ-X, proche par le gabarit d’un bombardier furtif réduit. Ces plateformes, à envergures estimées > 20 m, indiquent une volonté d’atteindre la persistance HALE (High-Altitude Long Endurance) avec charges utiles ISR lourdes et relais de communication air-air. L’articulation Malan-Lop Nur crée une chaîne d’essais verticale : à Malan, maturation des drones stratégiques (vols longs, profils endurance, essais de capteurs large ouverture) ; à Lop Nur, vols complexes de prototypes habités et scénarios combinés. Pour la Collaborative Combat Aircraft, cela signifie tester des « effecteurs » de 3 à 8 t masse maximale, vitesse sub-supersonique, avec emport de 300-800 kg, capables de missions SEAD/DEAD, escort ISR et brouillage directionnel. Des images récentes montrent au moins une aile volante géante en mise en l’air, confirmant le passage du roulage à la campagne de vol. L’enjeu chiffré est clair : atteindre des coûts de cycle vie par effecteur < 20-30 % d’un chasseur habité, et des ratios 1:3 à 1:6 (piloté:CCAs) selon mission. Cette approche permet de diluer le risque dans la saturation et de préserver les cellules habitées haut-coût.
Le volet naval : de GJ-11 à GJ-21 et l’extension vers les porte-aéronefs
Côté maritime, des prises de vue récentes montrent une variante navalisée du GJ-11 (désignée officieusement « GJ-21 ») en vol avec crosse d’appontage déployée. Cette évolution vise l’intégration sur de grands bâtiments à pont continu (Type 076/« Sichuan »), pour des cycles catapultage-appontage simulés puis réels. Techniquement, cela impose des renforcements structuraux (train, longerons), une résistance à des chocs verticaux de 4-6 m/s et une tenue corrosion/salinité. Le bénéfice opérationnel est substantiel : projection d’ailes volantes furtives à 1 000-1 500 km du groupe naval, relais ISR et tirs de munitions de croisière en pénétration basse SER. En démultipliant les capteurs et les « nodes » de guerre électronique déportés, une force aéronavale peut créer un « voile » EM continu autour du GAN, tout en gardant les chasseurs habités à distance des bulles A2/AD. Pour Pékin, le chaînon manquant est la standardisation des liaisons air-mer à faible probabilité d’interception, interopérables entre chasseurs habités, UCAV et aéronefs à voilure fixe embarqués. Les essais visibles laissent entendre une roadmap : campagne UCAV navalisée à court terme, puis intégration coordonnée avec un chasseur de sixième génération lors d’exercices combinés air-mer.

Les implications capacitaires : capteurs, liaisons et économies de masse
La bascule vers des cellules sans empennage impose des compromis : stabilité réduite, besoins en commandes de vol numériques plus denses, et exigence d’un contrôle d’écoulement attentif autour des entrées d’air. Mais la contrepartie est attractive : volumes internes généreux et SER omnidirectionnelle abaissée. Les filières capteurs suivent : AESA à panneaux conformes, IRST refroidis multi-bande et suites ESM à goniométrie fine. Sur le plan chiffré, une architecture ouverte peut réduire de 20-30 % les temps d’intégration capteur-plateforme entre deux blocks. Côté liaisons, la Chine doit concilier haut débit (vidéo SAR/IRST) et discrétion (LPI/LPD) ; l’usage de faisceaux étroits, de fréquences agiles et d’ondelettes pseudo-aléatoires est probable. Enfin, l’économie de masse découle d’une montée de TRL sur matériaux et procédés : panneaux carbone/époxy à forte compaction, joints RAM durables (> 1 000 h entre retouches) et bords d’attaque traités pour l’érosion sable/salinité. Au total, l’écosystème vu à Lop Nur/Malan dessine une démarche systémique : cellule furtive, propulsion étagée, capteurs distribués et C2 intra-paquet résilient. Les essais de patrouilles mixtes avec le Chengdu J-20 renforcent cette lecture, en préfigurant des « packages » où l’humain orchestre et les effecteurs autonomes saturent.
Les conséquences industrielles et stratégiques pour l’équilibre aérien
Sur le plan industriel, la coexistence Chengdu / Shenyang sur deux voies différentes (grand rayon tri-réacteur vs bi-réacteur compact) évite l’impasse mono-concept. Cela maximise l’apprentissage croisé et crée un rapport de forces interne favorable à la maturité rapide. Le signal envoyé aux compétiteurs est double : la Chine sait faire voler plusieurs démonstrateurs de front, et elle dispose d’un réseau d’essais multi-sites capable d’absorber des campagnes intensives. Stratégiquement, cette accélération pèse sur les calendriers occidentaux (NGAD, GCAP). Même sans série immédiate, des démonstrateurs crédibles modifient les hypothèses d’état-major : surcoûts de défense aérienne, re-calage des bulles ISR, et révision des stocks de munitions stand-off. Pour l’Indo-Pacifique, la combinaison « chasseur furtif longue portée + CCA + UCAV navalisé » crée un continuum air-mer difficile à disloquer sans supériorité informationnelle nette. En termes de soutenabilité budgétaire, l’introduction d’effecteurs collaboratifs vise un coût à la frappe réduit : si un CCA coûte 10-20 M€ à fabriquer et que sa probabilité de survie est optimisée par le nombre, l’adversaire se voit contraint d’engager des intercepteurs haut-coût et des missiles longue portée, avec un ratio économique défavorable. La franchise commande de le dire : l’industrialisation rapide des briques « sixième génération » en Chine est désormais un facteur structurant de la balance aérienne en Asie, quelle que soit la vitesse de mise en service.
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