
Première séquence d’un MQ-9 utilisé en mission air-air : tir d’un Hellfire contre un objet au Yémen, entre expérimentation opérationnelle et débat politique.
Une vidéo présentée au Congrès américain montre un MQ-9 Reaper lançant un missile Hellfire contre un objet aérien non identifié au large du Yémen, en octobre 2024. L’engagement, inédit pour ce type de drone en opération, s’inscrit dans un contexte marqué par les attaques de drones et de missiles menées par les Houthis, soutenus par l’Iran. Le missile semble toucher la cible sans provoquer d’explosion, l’objet poursuivant sa trajectoire.
Cette séquence, rendue publique par le représentant Eric Burlison, soulève trois questions principales : la capacité air-air des drones MQ-9, l’identification incertaine des cibles et la transparence du Pentagone sur les phénomènes aériens non identifiés (UAP). L’incident confirme l’évolution du drone armé vers un rôle plus large, incluant la défense aérienne, mais alimente aussi les débats sur les règles d’engagement et la communication des autorités.

Un fait inédit : un MQ-9 engagé en mission air-air
Le MQ-9 Reaper, conçu à l’origine pour les frappes air-sol et la surveillance, a rarement été utilisé contre des cibles aériennes. Le cas révélé par la vidéo de 50 secondes serait le premier engagement opérationnel documenté contre un objet volant.
Le missile employé, un AGM-114 Hellfire, est une arme à guidage laser principalement destinée à la destruction de véhicules terrestres. Dans la séquence, la mention “LRD LASE DES” indique un buddy lasing : un Reaper éclaire la cible au laser, l’autre tire le missile. La trajectoire montre un impact partiel, produisant des débris, mais sans explosion complète. L’objet poursuit son vol, ce qui peut s’expliquer par la configuration de la fusée du Hellfire, optimisée pour des cibles solides au sol plutôt que pour des menaces aériennes.
Le fait qu’un drone MALE (moyenne altitude longue endurance) soit autorisé à tirer en air-air traduit un changement doctrinal. Jusqu’ici, les rares tests connus dataient de 2017 avec l’intégration d’un AIM-9X Sidewinder sur Reaper, ou d’expérimentations plus anciennes de Predator armés de Stinger en 2002-2003. L’incident de 2024 prouve que ces scénarios théoriques sont devenus opérationnels, au moins dans des cas d’urgence.
Une zone de combat saturée par les drones et missiles Houthis
L’incident survient au-dessus de la mer Rouge, zone où les Houthis ont mené depuis octobre 2023 des campagnes intenses de frappes par drones et missiles. Des dizaines de navires marchands et militaires ont été visés, ainsi que des cibles en Israël et en Arabie saoudite.
Les forces américaines ont abattu plusieurs centaines de drones et de missiles dans la région entre fin 2023 et mai 2025. Les MQ-9, avec leur endurance de 27 heures de vol et leur plafond d’environ 15 000 m, ont joué un rôle clé dans la surveillance et l’interdiction. Les Houthis affirment avoir abattu au moins 20 Reaper depuis le début du conflit, grâce à des systèmes sol-air fournis par l’Iran.
Dans ce contexte, l’engagement observé pourrait être interprété comme une réaction défensive contre un drone kamikaze ou un missile de croisière en approche. La faible vitesse apparente de la cible, évoquée par les analystes, suggère un engin de type drone ou ballon. Mais l’hypothèse d’un UAP est avancée par Burlison pour souligner le manque de transparence du Pentagone.
Les limites du missile Hellfire en emploi air-air
Le choix d’un Hellfire laser pour un tir air-air illustre les contraintes opérationnelles. Ce missile, long de 1,63 m et pesant environ 45 kg, possède une charge creuse optimisée pour perforer les blindages. Sa vitesse terminale (environ 450 m/s) et sa trajectoire directe conviennent mal à des cibles rapides ou manœuvrantes.
L’absence de détonation par proximité explique l’échec partiel : sans contact direct, le missile ne peut neutraliser efficacement une cible aérienne. À l’inverse, des armes comme l’AIM-9X ou l’APKWS II (roquette guidée de 70 mm adaptée à l’anti-drone) disposent de capteurs adaptés. Le coût est aussi un facteur : un Hellfire est estimé à 150 000 €, contre environ 30 000 € pour une roquette APKWS.
L’utilisation du Hellfire dans ce rôle pourrait être improvisée, faute de munitions dédiées disponibles sur zone. Cela illustre les limites d’adaptation d’un drone conçu pour le sol, mais aussi la flexibilité tactique des opérateurs face à des menaces aériennes nouvelles.
Les enjeux doctrinaux pour l’US Air Force et l’US Navy
Cet engagement pose la question de la transformation des drones MALE en plateformes multi-rôles. Les Reaper, déployés massivement depuis 2007, sont menacés par l’arrivée de défenses sol-air plus performantes et par la prolifération des drones adverses. Leur emploi en mission air-air pourrait prolonger leur utilité.
Les forces armées américaines testent déjà plusieurs solutions :
- AIM-9X Sidewinder sur Reaper pour engager des cibles rapides.
- APKWS II sur F-16 et A-10 pour l’anti-drone économique.
- AGM-114L Longbow (Hellfire radar) en rôle surface-air, déployé récemment sur des navires LCS.
Cette diversification traduit une évolution doctrinale : les drones ne sont plus seulement des capteurs armés, mais aussi des acteurs actifs de la défense aérienne. Dans un théâtre saturé, chaque plateforme doit être capable de se protéger ou de protéger des unités amies.
La question des UAP et la transparence gouvernementale
La diffusion de la vidéo lors d’une audition sur les UAP au Congrès n’est pas anodine. Depuis la création de l’AARO (All-domain Anomaly Resolution Office) en 2022, les parlementaires reprochent au Pentagone une communication opaque. Les promesses de publication d’images sur les trois objets abattus en 2023 au-dessus des États-Unis et du Canada n’ont toujours pas été tenues.
Burlison a utilisé cet exemple pour dénoncer les blocages d’information. L’argument est que les vidéos de frappes classiques sont publiées rapidement, alors que les dossiers UAP restent secrets. Cette opacité nourrit la spéculation et affaiblit la confiance du public.
Si l’objet était un simple drone ou ballon, pourquoi ne pas l’affirmer clairement ? Si ce n’est pas le cas, la question des règles d’engagement se pose : tirer sur une cible non identifiée peut créer des incidents diplomatiques ou techniques. Le choix de diffuser cette vidéo témoigne d’un malaise croissant entre le Congrès et le Pentagone sur la gestion du dossier UAP.

Les conséquences et les perspectives
Cet épisode marque un tournant : le MQ-9 Reaper est désormais associé à des missions air-air réelles, même si le résultat n’a pas été concluant. Cette évolution a trois conséquences majeures :
- Technologique : nécessité de doter les drones de munitions adaptées, avec fusées de proximité et capteurs air-air.
- Opérationnelle : les drones deviennent des outils de défense aérienne dans les environnements saturés, ce qui élargit leur champ d’emploi.
- Politique : le manque de clarté sur la nature des cibles entretient la méfiance envers les autorités militaires.
Dans un théâtre comme la mer Rouge, où les tensions impliquent les Houthis, l’Iran, les États-Unis et leurs alliés, l’usage improvisé de munitions air-sol contre des cibles aériennes traduit une adaptation rapide, mais aussi une fragilité doctrinale. Les drones armés sont à la croisée des chemins : soit ils évoluent vers des plateformes multi-missions, soit ils deviennent obsolètes face aux nouvelles menaces.
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