
Un nouveau drone furtif en aile volante bi-réacteur lié à la Chinese Academy of Sciences apparaît avant le Changchun Air Show ; pistes UCAV/ISR et enjeux techniques.
En résumé
Un UCAV chinois de configuration aile volante à propulsion bi-réacteur a été observé à Changchun (Jilin), à l’approche du Changchun Air Show (19-23 septembre 2025). Le prototype porte le logo de la Chinese Academy of Sciences et présente une bosse dorsale avec admission dorsale de part et d’autre, deux tuyères séparées, et des finitions encore industrielles (fixations apparentes). Le tracé général vise la réduction de SER (section équivalente radar), mais les échappements et certains détails laissent penser à un démonstrateur évolutif. Ce programme s’inscrit dans un écosystème chinois déjà fourni : GJ-11 « Sharp Sword » côté UCAV embarqué, grands drones ISR HALE, et nouvelles cellules « CCA/loyal wingman ». Probables missions : pénétration air-sol, ISR de haute altitude, relais de communications et guerre électronique. Comparativement, la Russie (S-70 Okhotnik), la Turquie (TAI Anka-3), l’Inde (Ghatak/SWiFT) et l’Europe (nEUROn) suivent des trajectoires proches, avec des compromis techniques similaires. La conséquence stratégique est claire : diversification et densification de l’offre chinoise en drones de combat et d’ISR à faible signature, avec une visée opérationnelle pour la PLAAF et les forces navales.

La plateforme observée : ce que montrent les clichés de Changchun
Des photos prises à Changchun, dans la province du Jilin, montrent un appareil sans pilote à aile volante, motorisé par deux turboréacteurs, avec une bosse dorsale marquée et des entrées d’air accolées de chaque côté. À l’arrière, deux tuyères distinctes sont visibles. Le fuselage et l’envergure n’ont pas été communiqués ; l’allure générale indique des moteurs logés haut dans le volume central, libérant de l’espace interne pour du carburant, des soutes, des antennes ou des capteurs. La présence du logo de la Chinese Academy of Sciences pointe vers un rôle moteur des instituts publics dans la conception et l’essai. Les fixations non affleurantes et certaines jonctions visibles sur les ailes confirment un état « article d’essai » plutôt qu’un standard de série. Pour le calendrier, la municipalité annonce l’événement du 19 au 23 septembre 2025, ce qui cadre avec l’apparition de l’appareil sur le site. Dans le contexte chinois, ces présentations servent souvent de jalons publics d’un développement déjà actif en arrière-plan, avec itérations rapides entre maquettes, démonstrateurs roulants, puis vols d’essais. Le message technique est double : maturation des chaînes d’industrialisation des cellules à faible signature et montée en puissance d’une architecture bi-réacteur, choisie pour la redondance et la poussée disponible au profit de profils mission longs et hautement énergivores (capteurs, liaisons de données, guerre électronique).
Le design furtif et ses compromis : admissions, échappements et SER
Le dessin cherche une réduction de SER par une géométrie globalement plane, une arête « chine » en bord d’attaque de la section centrale et des admissions échancrées pour masquer les aubes des compresseurs. L’admission dorsale limite l’exposition des parties chaudes en incidence basse et réduit la visibilité latérale des moteurs. Cependant, les tuyères restent en retrait simple dans la structure : sans masque profond ni mélangeur, l’IR et le RCS arrière demeurent élevés pour un standard de pénétration de très haut niveau. Les fixations visibles et les discontinuités locales (panneaux, bords de soute potentielle) dégradent la régularité électromagnétique. À ce stade, rien n’indique un système d’éjection des gaz aplatis ou à « dents » (serrations) comparable aux solutions les plus performantes. Côté matériaux, on peut s’attendre à des composites carbone et sandwich nid d’abeilles ; l’emploi de peintures RAM (Radar-Absorbent Materials) est probable, mais leur efficacité dépendra de l’épaisseur, de la bande de fréquence, et des zones traitées. Enfin, la cellule bi-réacteur apporte une marge de poussée utile en haute altitude, au prix d’une signature accrue aux spectres radar et infrarouge. Ce compromis est cohérent avec un démonstrateur « capacité/volume » davantage qu’un engin optimisé uniquement pour le percement d’un IADS de niveau OTAN. La cohérence de l’ensemble laisse entrevoir des évolutions ultérieures : refonte des échappements, lissage des jonctions, capots et trappes affleurants, antennes conformes, voire traitement des entrées pour l’atténuation des retours sur les harmoniques radar.
L’écosystème chinois : du GJ-11 aux HALE furtifs, rôle du CAS et des parades
L’appareil de Changchun ne surgit pas dans le vide. Depuis 2019, le GJ-11 « Sharp Sword » a servi de vitrine d’un UCAV furtif opérationnalisable, avec deux soutes internes estimées à près de 2 t, et une cellule à aile volante, désormais pressentie en version navalisée (ailes repliables) pour bâtiments porte-aéronefs. Les parades récentes ont aussi montré des UCAV et « collaborative combat aircraft » (CCA) de nouvelle génération. En parallèle, la Chine travaille des drones ISR HALE furtifs très grands : des vues satellites en 2025, sur la base de Malan (Xinjiang), ont révélé des cellules en aile volante de grande envergure, suggérant des profils de vol au-delà de 15 000 m, endurance longue (plus de 20 h), liaisons de données au-delà de l’horizon et charges utiles de surveillance à large bande (SAR, ELINT/COMINT). Dans ce système, la Chinese Academy of Sciences joue un rôle d’ensemblier scientifique : structures, matériaux, capteurs, traitement du signal, IA embarquée ; ses laboratoires alimentent l’industrie en briques technologiques, dans une logique « civil-militaire ». Historiquement, l’Armée populaire de libération (air et mer) présente en parade des systèmes encore en montée technologique, mais beaucoup finissent par voler puis entrer en dotation limitée avant montée en cadence. Ce phasage médiatique crée un effet de communication, mais traduit aussi une stratégie d’itération rapide sur plateformes, capteurs et architectures de mission, avec une courbe d’apprentissage accélérée.
Les usages probables : pénétration, ISR, relais et guerre électronique
Au-delà de la cellule, l’intérêt d’une aile volante bi-réacteur est la capacité d’emport volumique et la flexibilité mission. Pour l’attaque, une soute centrale peut accueillir des munitions guidées de 250 à 500 kg, avec profils d’approche à moyenne altitude puis descente courte vers le point de tir, afin de limiter l’exposition radar. En ISR, la surface interne et la puissance disponible offrent l’intégration de SAR à ouverture synthétique (bandes X/Ku), charges ELINT/COMINT larges, boules optroniques hyperspectrales, et antennes conformes. En relais de communications, l’appareil peut porter des radios multi-bandes et des liaisons « mesh » pour connecter chasseurs, essaims de drones, et capteurs navals, créant un nuage tactique déployé à 12 000–16 000 m. En guerre électronique, les volumes et l’énergie à bord autorisent brouillage directionnel, leurrage DRFM et illumination de cibles pour armements coopératifs. Dans une version « loyal wingman », la cellule escorte un chasseur habité, crée des axes de saturation anti-radar et tire des munitions stand-off depuis des positions décalées. Les limites actuelles (tuyères non traitées, finitions) n’empêchent pas l’emploi opérationnel : un standard « bloc 1 » peut déjà servir de banc d’intégration capteurs-liaisons, de relais ISR, ou de plateforme d’essai pour l’optimisation furtive, pendant que la chaîne usine mature des solutions d’échappement à masquage, des composites plus homogènes et des trappes affleurantes. La bascule vers l’embarquement naval demanderait, en plus, un train renforcé, des crochets d’arrêt et une protection anticorrosion.
Les comparaisons internationales : Russie, Turquie, Inde, Europe
La Russie aligne le S-70 « Okhotnik » (envergure ~20 m, masse à vide supérieure à 10 t), conçu pour opérer avec le Su-57 ; sa cellule a progressé vers une tuyère plus « furtive » après un premier prototype à sortie circulaire classique. La Turquie a fait voler l’Anka-3 fin 2023 (MTOW ~6,5 t ; endurance ~10 h ; plafond ~12 000 m), avec soute interne et stations externes limitées ; les essais armement ont suivi en 2024. L’Inde avance par incréments avec le démonstrateur SWiFT (vol en 2022, campagnes 2023) et un Ghatak plus ambitieux (soute ~1,5 t visée), soutenus par des essais d’autonomie de vol. L’Europe, via le nEUROn (premier vol 2012), a validé des briques furtives et des architectures de mission, mais est restée au stade démonstrateur, en attendant des programmes de série. Ces comparaisons éclairent les choix chinois : bi-réacteur pour redondance, volumes pour capteurs lourds, et effort soutenu sur des HALE furtifs très larges (bases de Malan). Par rapport au S-70, la cellule vue à Changchun paraît moins volumineuse et plus orientée vers une modularité capteurs/liaisons que vers une charge utile lourde. Face à l’Anka-3, la solution bi-réacteur chinoise ouvre des profils plus ambitieux en altitude et en puissance embarquée, au prix d’une signature accrue à traiter. Enfin, l’avance européenne en essais de furtivité contrôlés (nEUROn) illustre le coût et la durée nécessaires pour stabiliser une cellule réellement peu observable en opérations.

Les conséquences stratégiques : densification, saturation et posture PLAAF
Sur le plan opérationnel, l’arrivée d’un nouvel appareil furtif intermédiaire permet à la PLAAF de densifier l’éventail « capteurs-tireurs ». D’un côté, des UCAV de pénétration type GJ-11 pour l’attaque discrète ; de l’autre, des HALE furtifs pour le renseignement persistant, la désignation de cibles, le relais de communications et la synchronisation multi-domaine. Entre les deux, la cellule observée à Changchun pourrait jouer l’agrégateur : collecte, fusion, mise en réseau et, selon le besoin, tir limité de munitions stand-off. Dans un scénario régional, cette trame multiplie les axes d’approche, dilue la défense adverse, et alimente la saturation par volumes : plusieurs dizaines de plateformes coordonnées, chacune avec 300 à 600 kg de capteurs/armements, forcent l’ennemi à répartir ses feux et ses radars, augmentant le coût des interceptions et le risque d’épuisement logistique. Stratégiquement, l’effet est double : pression psychologique en temps de paix via défilés et salons ; préparation technique en temps de crise avec des architectures déjà exercées. Côté limites, la furtivité n’est pas un absolu : les réseaux multi-statique, l’IRST moderne, et la veille passive radio-électrique détectent des anomalies ; la Chine devra donc progresser sur l’IR (tuyères, refroidissement), le contrôle qualité des surfaces, et surtout la discipline EMCON. Enfin, la prudence s’impose : des annonces grand public ne garantissent ni cadence industrielle ni maturité logicielle. Mais la cadence des « apparitions-essais-déploiements » s’accélère, et l’environnement industriel chinois sait produire vite une première tranche, quitte à itérer ensuite par blocs successifs.
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