Mali : la Russie change d’uniforme, pas de stratégie

Mali : la Russie change d’uniforme, pas de stratégie

Mali : l’Africa Corps prend la place de Wagner. Bilan sécuritaire inquiétant, influence russe et tensions diplomatiques.

En résumé

Depuis juin 2025, le groupe paramilitaire russe Wagner s’est officiellement retiré du Mali. Il est remplacé par l’Africa Corps, une entité directement rattachée au ministère russe de la Défense. Malgré ce changement, les attaques djihadistes, notamment du JNIM, continuent de se multiplier, les pertes militaires s’accroissent et les populations civiles subissent des exactions. La transition marque une évolution de stratégie russe : moins d’opérations agressives autonomes et davantage de formation, de logistique et de protection d’actifs fixes. Les conséquences diplomatiques incluent un isolement accru du Mali, et des tensions internes dans son armée aggravées par le sentiment de favoritisme envers les forces russes.

Le retrait de Wagner : portée et limites

Le 6 juin 2025, Wagner a annoncé le fin de sa mission au Mali, après plus de trois ans d’engagement aux côtés des forces armées maliennes (FAMa), pour lutter contre les groupes djihadistes. Ce retrait intervient alors que les pertes subies – militaires maliens et mercenaires russes – se sont intensifiées récemment lors d’attaques du JNIM, notamment dans le centre du pays.

Wagner affirme avoir remis sous contrôle les capitales régionales, repoussé des chefs djihadistes, et mené à bien ce qu’il appelait ses missions principales. Mais les observateurs soulignent que l’insécurité s’est aggravée depuis son arrivée : selon le rapport The Sentry, entre 2022 et 2024, le nombre de décès liés aux djihadistes a atteint en moyenne 3 135 par an, contre 736 par an au cours de la décennie précédente. Cette hausse montre l’échec, ou la limite, de la stratégie militaire axée sur la seule force armée, et révèle le coût humain élevé de la reprise en main.

Mali : la Russie change d’uniforme, pas de stratégie

L’Africa Corps : mutation tactique et commandement plus centralisé

L’Africa Corps est présentée comme la structure qui remplace Wagner. Elle est sous le contrôle direct du ministère russe de la Défense, ce qui change la nature de la responsabilité opérationnelle et politique.

Mission : moins d’opérations frontales indépendantes, davantage d’assistance, d’entraînement, de logistique, de protection des infrastructures fixes. ([Courrier international][4]) Environ 70-80 % du personnel de l’Africa Corps provient d’anciens combattants de Wagner. Ce chevauchement humain entre les deux entités rend floue la frontière entre le retrait et la simple évolution.

Commandement : plus de supervision russe formelle, une subordination au ministère de la Défense, ce qui pourrait entraîner une reddition de comptes plus grande, mais aussi une bureaucratisation qui pourrait limiter la réactivité sur le terrain.

Sécurité et droits humains : des défis persistants

Malgré le remplacement de Wagner, les attaques djihadistes se poursuivent. Le JNIM, affilié à Al-Qaïda, continue d’agir contre les bases militaires et dans les centres urbains. Des rapports font état d’une intensification des attaques après l’arrivée de Wagner, et aucune amélioration notable depuis le passage à l’Africa Corps.

Les pertes : Wagner et les forces maliennes ont subi des revers. Des bases militaires ont été attaquées, des soldats tués. Dans un rapport, il est mentionné que plusieurs soldats maliens ont perdu la vie lors d’offensives du JNIM et que la population civile a également été durement touchée.

Les exactions : assassinats, pillages, traitements humiliants, détentions arbitraires. Des communautés civiles — souvent accusées de collusion avec des djihadistes — sont visées. Des organisations internationales dénoncent des violations graves des droits humains.

Impact géopolitique et économique

Le retrait officiel de Wagner sert politiquement à Moscou pour consolider une présence moins visible mais plus institutionnalisée. L’Africa Corps permet à la Russie de maintenir une influence stratégique au Sahel, tout en étant plus directement responsable des opérations et des effets.

Économiquement, il existe des rumeurs, non confirmées, selon lesquelles des concessions minières (notamment dans l’or) auraient été accordées en échange de l’accès et de la protection fournies par Wagner ou ses remplaçants. Cependant, le rapport The Sentry souligne que le groupe n’a pas obtenu les concessions minières attendues, ce qui limite son influence économique réelle jusqu’à maintenant.

Diplomatiquement, le Mali s’est de plus en plus isolé de ses partenaires occidentaux, notamment la France, l’Union européenne, et les États-Unis. L’adoption de la stratégie russe renforce cet isolement, tandis que la crédibilité du gouvernement malien sur la scène internationale s’en trouve altérée, en particulier sur les questions des droits humains.

Conséquences à court et moyen terme

À court terme (6-12 mois) :

  • Risque d’augmentation des attaques djihadistes dans des zones où les forces maliennes et russes sont moins efficaces. Le vide laissé par Wagner dans certaines opérations agressives pourrait être difficile à combler rapidement.
  • Montée des tensions internes au sein de l’armée malienne, ressentiment envers les forces russes — notamment pour le traitement préférentiel, l’accès au matériel, à la logistique, ou à l’évacuation médicale.
  • Dégradation possible de la sécurité civile, avec plus de déplacés internes, plus de victimes parmi les populations, en raison de la confusion entre civils et combattants, et de la perte de confiance dans les forces de sécurité.

À moyen terme (1-2 ans) :

  • Institutionnalisation de l’influence russe au Mali : l’Africa Corps pourrait devenir un acteur permanent, avec bases, infrastructures, liens politiques, contrats économiques.
  • Potentielle augmentation des investissements étrangers, mais aussi des risques : exploitations minières ou ressources naturelles pourraient devenir un levier de pression politique russe.
  • Risque diplomatique accru : sanctions plus fortes, perte d’aide internationale, possible intervention des instances internationales de droits humains.
  • Réactions régionales : d’autres pays du Sahel (Burkina Faso, Niger) suivront peut-être ce modèle de coopération militaire russe, ce qui pourrait redessiner les alliances dans la région.
Mali : la Russie change d’uniforme, pas de stratégie

Réflexion critique : enjeux éthiques et stratégiques

Le remplacement de Wagner par l’Africa Corps ne constitue pas une rupture si forte qu’il y paraît. Beaucoup d’anciens combattants de Wagner composent le noyau de l’Africa Corps. Le mode opératoire sur le terrain pourrait rester similaire, en particulier dans les zones où les lignes de commandement locales sont faibles.

L’une des questions majeures porte sur la redevabilité. Sous Wagner, les actes d’exactions étaient souvent dissimulés derrière le statut de groupe paramilitaire privé, ce qui permettait un déni plausible pour le Kremlin. Avec Africa Corps, étant donné la dépendance formelle au ministère russe de la Défense, la responsabilité politique et légale pourrait devenir plus directe. Cela pourrait ouvrir la voie à des enquêtes internationales, à des pressions diplomatiques, à des sanctions ciblées.

Un autre enjeu touche aux capacités opérationnelles. Wagner était réputé pour sa flexibilité, son agressivité et ses opérations indépendantes. L’Africa Corps, plus subordonné, risque d’être moins efficace dans des actions rapides, en terrain accidenté ou face à un adversaire asymétrique comme les djihadistes, qui utilisent le terrorisme, les embuscades, les tactiques de harcèlement.

Un tournant limité mais révélateur

Le geste de retirer Wagner et de le remplacer par l’Africa Corps indique une adaptation stratégique russe : moins de visibilité médiatique négative, plus de contrôle institutionnel, une responsabilité plus claire. Toutefois, ce changement ne résout pas les problèmes de fond : sécurité affaiblie, violations des droits humains, pertes militaires, isolement diplomatique et incertitudes économiques.

À la fin, l’Afrique sahélienne reste un terrain d’expérimentation pour les politiques de puissance, et le Mali un cas d’école de ce que les transitions militaires et paramilitaires peuvent signifier lorsque les États ne parviennent pas à exercer pleinement leur autorité.

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