
Refonte RG-XX : l’US Space Force remplace GSSAP par des satellites commerciaux, ravitaillables en orbite, pour doper le Space Domain Awareness en GEO.
En résumé
L’US Space Force prépare RG-XX, un programme destiné à succéder à GSSAP avec une exigence clé : le ravitaillement en orbite. Objectif : étendre la mobilité des satellites de Space Domain Awareness en GEO (≈ 35 786 km), réduire la contrainte carburant et maintenir des capacités de RPO dans un environnement plus disputé. La stratégie change aussi d’approche : plateformes commerciales, programme non classifié et potentiellement ouvert à l’export FMS, avec plusieurs industriels en compétition. Le calendrier mêle opérations et démonstrateurs : lancement de GSSAP-7/8 (mission USSF-87), essais de ports de refueling port (RAFTI), servicers de type Mission Extension Vehicle, démonstrations Astroscale et dépôts Orbit Fab à partir de 2026, puis un essai de charge utile de ravitaillement « Elixir » à l’horizon 2028. Les bénéfices attendus sont concrets : plus de manœuvres pour l’inspection rapprochée, meilleure endurance, logistique orbitale naissante. Les défis ne manquent pas : standardisation des interfaces et ergols, cybersécurité des liaisons, responsabilité en cas d’incident de ravitaillement.
Le programme RG-XX et la transition depuis GSSAP
Le cœur de RG-XX tient en une contrainte opérationnelle simple : l’autonomie de manœuvre ne doit plus mourir avec le dernier kilogramme d’ergol. Les six satellites GSSAP lancés depuis 2014 ont prouvé l’utilité d’une « surveillance de quartier » en GEO, capable d’approches contrôlées et d’RPO pour caractériser des objets d’intérêt. Mais la réserve propulsive finie limitait la durée utile et la liberté de trajectoires. D’où l’exigence formelle de ravitaillement en orbite pour RG-XX. Le programme se distingue aussi par son mode d’acquisition : plateformes issues du marché commercial, exigences épurées, statut non classifié et possibilité de ventes FMS. Cette ouverture vise à capter la rapidité d’exécution des industriels agiles, tout en favorisant la concurrence sur les sous-systèmes (propulsion, capteurs, logiciels de navigation relative). Le volet capacité reste clair : maintien des opérations en GEO avec capteurs d’inspection, navigation relative sécurisée, liaisons de données résilientes et capacité de manœuvre soutenue par le refueling port. À court terme, GSSAP-7/8 doivent rejoindre l’orbite de travail pour combler le besoin jusqu’à l’arrivée des premiers RG-XX. À moyen terme, l’option d’un dernier lot GSSAP n’efface pas la trajectoire : basculer vers des satellites ravitaillables et modulaires. Le pari est assumé : mieux vaut un segment spatial plus simple à l’achat mais plus mobile et soutenu par une logistique orbitale émergente que des plateformes « sur-spécifiées » rapidement figées par leurs réservoirs vides. Cette logique pousse, de facto, à considérer le ravitaillement comme un service, au même titre que les lancements.
Le ravitaillement en orbite : principes, standards et risques
Le ravitaillement en orbite repose sur trois briques : un point d’interface fluide (ex. RAFTI), un servicer qui s’amarre et un protocole de transfert (pression/temps/température) compatible avec l’ergol client. En GEO, l’ergol le plus courant reste l’hydrazine ; certains satellites associent une propulsion électrique (xénon) pour la tenue d’orbite fine. La diversité des ergols pose un défi direct à l’« interopérabilité logistique ». D’où la montée des standards de refueling port et des kits d’adaptation. Côté opérations, un contact RPO stable nécessite des senseurs de navigation relative (lidar, caméras, RF), des algorithmes de guidage et des bras/sondes de connexion. Côté sûreté, le transfert d’une molécule hypergolique impose des marges thermiques et des vannes redondées. Un test de fuite via caméra hyperspectrale et la purge contrôlée sont désormais des étapes écrites dans les séquences. Les risques sont identifiés : contamination, cisaillement d’interface, erreurs de pression, cyber-intrusion sur la chaîne commande/contrôle. Ils se gèrent par la qualification conjointe port-servicer, des check-lists de docking inspirées du spatial habité, et un cloisonnement des réseaux de commande. Les bénéfices attendus sont mesurables : si l’on considère qu’un satellite GEO « consomme » quelques kilogrammes d’hydrazine par an pour station-keeping et manœuvres, un appoint périodique de 50–100 kg peut prolonger l’emploi de plusieurs années, tout en autorisant des campagnes RPO plus agressives (inclinaisons, drifts, approches multiples) que l’on évitait auparavant par parcimonie. Enfin, la redondance orbitale change d’échelle : un dépôt-carburant ou un servicer-ravitailleur repositionnable en GEO réduit le besoin d’un parc trop large, à condition d’accepter une planification logistique plus serrée.

Le marché des services en orbite et les démonstrateurs 2026–2028
Le segment « On-Orbit Servicing » s’industrialise. Northrop Grumman a validé un cycle complet d’amarrage/désamarrage avec son Mission Extension Vehicle, prolongeant la vie d’Intelsat IS-901 de cinq ans. Prochaine étape : un Mission Robotic Vehicle capable d’installer des pods de prolongation de mission et, demain, d’opérer des tâches plus fines. Astroscale annonce un servicer de 300 kg pour ravitailler un satellite du DoD au-dessus de GEO, avec deux opérations prévues et contrôle post-ravitaillement par caméra hyperspectrale. Orbit Fab pousse ses ports et dépôts à l’échelle de la constellation, avec un démonstrateur type Tetra-5 ciblant 2026. Côté charges utiles, Northrop Grumman doit intégrer « Elixir » sur une plateforme ESPAStar pour un essai de transfert d’ergol visé au plus tôt en 2028. Firefly, enfin, prépare Elytra, véhicule manœuvrant pensé pour la Space Domain Awareness et les RPO rapides, avec un lancement de démonstration programmé avant la fin de la décennie. Tout cela compose un embryon d’« économie de la mobilité orbitale » : ports standardisés, dépôts, servicers, logiciels de rendez-vous, assurance dédiée. À mesure que les démonstrateurs passeront en service, l’arbitrage « réapprovisionner / remplacer » évoluera. Remplacer un satellite hautement spécialisé coûte cher en intégration, assurance et créneau de lancement ; réapprovisionner devient pertinent si le cycle de ravitaillement est fiabilisé et tarifé de manière prévisible. On peut anticiper un mix : satellites RG-XX plus compacts, reconfigurables par logiciel, ravitaillés régulièrement, et quelques unités « capteurs lourds » bénéficiant d’appoints moins fréquents. Pour l’écosystème, l’enjeu industriel se situe dans le passage de l’« expérimental » à l’« opérationnel supervisé » : contrats pluriannuels, SLA de rendez-vous, et responsabilités clarifiées en cas d’anomalie.
Les impacts stratégiques, industriels et export (FMS)
Sur le plan militaire, l’introduction d’un refueling port dans les spécifications RG-XX change la grammaire de la dissuasion en orbite. Un satellite qui « ne sèche pas » accroît sa liberté d’approche, impose un coût de surveillance au compétiteur et entretient la pression normative : celui qui opère proprement, enregistre, notifie et peut revenir plusieurs fois sur une même cible joue le long terme. Côté posture, l’US Space Force revendique une Space Domain Awareness plus réactive, moins contrainte par le delta-V résiduel. Côté doctrine, la chaîne RPO-Dock-Transfer-Undock devient une compétence cœur que les états-majors doivent préserver : simulateurs, procédures normalisées, données de navigation relative partagées au bon niveau de classification. Industriellement, l’ouverture RG-XX aux plateformes commerciales et la perspective FMS dessinent un marché export d’outils SDA « interopérables », où le service de ravitaillement est vendu comme une option. C’est un choix lucide : mutualiser le risque technologique et étendre la base industrielle. Mais il impose des garde-fous. D’abord, la standardisation : ne pas multiplier les ergols au point de rendre la logistique intenable. Ensuite, la cybersécurité des chaînes RPO : un docking se joue à quelques millimètres et quelques pascal-secondes de pression ; la tolérance à l’erreur est faible. Enfin, la responsabilité : un contact raté peut produire des débris en GEO, là où la réparation est compliquée. On ne bâtira pas une logistique orbitale robuste sans transparence procédurale et sans régimes d’assurance adaptés. Dernier point : refuser l’angélisme. Le ravitaillement en orbite n’est pas « neutre » ; il est dual. Il faudra assumer que cette capacité, si elle confère un avantage opérationnel et économique, attire aussi la contestation diplomatique. Tant mieux : c’est à l’épreuve des faits que se fixent les normes.
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