Les avions Su-34 et Su-35 russes dépendent de composants occidentaux

Les avions Su-34 et Su-35 russes dépendent de composants occidentaux

Une enquête révèle que les Su-34 et Su-35 russes, utilisés contre des civils en Ukraine, intègrent des centaines de microélectroniques venues de pays occidentaux.

Un rapport publié en juin 2025 montre que les avions Su-34 et Su-35 russes, impliqués dans des frappes aériennes contre des objectifs civils ukrainiens, intègrent massivement des composants électroniques occidentaux. L’enquête recense 1 115 composants issus de 141 fabricants mondiaux, dont Texas Instruments, Intel, Murata ou Analog Devices. Ces circuits intégrés, condensateurs et modules de puissance sont essentiels aux fonctions de guidage, navigation, communication et ciblage. Malgré les sanctions, ces composants parviennent en Russie via des circuiteries logistiques opaques passant par la Chine, la Turquie, les Émirats arabes unis ou des sociétés écrans européennes. Le rapport questionne la responsabilité industrielle et l’efficacité des mécanismes de contrôle à l’export. Il alerte également sur le fait que cette dépendance technique ne freine pas l’usage de ces plateformes aériennes dans le conflit, notamment contre les civils.

Les avions Su-34 et Su-35 russes dépendent de composants occidentaux

Une dépendance structurelle aux composants microélectroniques étrangers

Les avions de chasse Su-34 et Su-35, conçus par Sukhoi, représentent l’ossature des capacités d’attaque aérienne à longue portée de la Fédération de Russie. Ces deux appareils multirôles, dérivés d’un même châssis, sont équipés pour délivrer des munitions guidées, mener des frappes de précision et opérer dans des environnements fortement contestés. Leur technologie embarquée repose largement sur l’électronique importée.

L’enquête conduite par l’IPHR (International Partnership for Human Rights) et la NAKO (Commission indépendante anticorruption en Ukraine) révèle que les versions les plus modernes de ces avions comportent des centaines de composants électroniques de fabrication occidentale. Les investigateurs ont identifié 1 115 modules microélectroniques sur des appareils abattus, issus de 141 fabricants différents, principalement américains, allemands, japonais, sud-coréens et taïwanais.

Ces composants remplissent des fonctions critiques : régulation de puissance, acquisition de cibles, navigation inertielle, traitement du signal radar, liaisons tactiques, ou systèmes de guidage de munitions. Il s’agit notamment de circuits intégrés, de régulateurs de tension, de microprocesseurs spécialisés, et de capteurs. Ces éléments, miniaturisés, sont impossibles à produire à grande échelle en Russie dans des délais compatibles avec les besoins militaires actuels.

Le Su-34, avion biplace à vocation d’attaque au sol, utilise ces modules pour la coordination de munitions telles que la UMPB D30-SN ou la Grom-1, toutes deux dotées de guidage assisté. Le Su-35, quant à lui, exploite cette électronique pour la gestion de ses radars à antenne active et pour ses capteurs infrarouges intégrés à son système d’alerte.

Une logistique opaque permet l’approvisionnement de la Russie

Les circuits logistiques identifiés dans le rapport permettent à Moscou de contourner les sanctions à l’export mises en place depuis 2014, puis renforcées en 2022. En 2023, plus de 180 000 livraisons de composants sensibles sont entrées sur le territoire russe, pour une valeur totale estimée à 740 millions d’euros.

Ces flux passent par des pays intermédiaires : la Chine est la principale plaque tournante, mais des réexpéditions ont également lieu via Hong Kong, la Turquie, les Émirats arabes unis, ainsi que plusieurs pays européens non spécifiés. Les sociétés russes recourent à des entreprises écrans, parfois domiciliées dans des États tolérants ou peu coopératifs en matière de contrôle à l’exportation.

Certains fournisseurs ne cachent pas leur stratégie. Des sites russes spécialisés en électronique affichent publiquement leur capacité à se procurer des circuits de marques Texas Instruments, Vicor, OnSemi ou Maxim. Le rapport identifie aussi des courtiers actifs dans l’importation de semi-conducteurs civils transformés pour un usage militaire.

Les mécanismes de fraude documentaire sont nombreux : requalification des composants comme biens civils, changement du pays d’origine, utilisation de faux certificats de destination finale. La complexité des chaînes logistiques empêche un contrôle en temps réel, même dans des pays dotés d’agences de régulation structurées.

Les avions Su-34 et Su-35 russes dépendent de composants occidentaux

Des frappes aériennes ciblant délibérément les civils

L’exploitation des avions Su-34 et Su-35 dans le conflit ukrainien a conduit à des frappes répétées sur des infrastructures civiles, documentées par l’enquête sur la période mai 2023 – mai 2024. Les analystes ont recensé plus de 60 frappes confirmées, ayant causé 26 décès et 109 blessés civils, ainsi que la destruction de 71 logements, 5 écoles, 5 hôpitaux et plusieurs infrastructures énergétiques.

Un exemple particulièrement marquant est la frappe du 25 mai 2024 à Kharkiv. Un Su-34 russe a largué deux bombes UMPB D30-SN sur un hypermarché Epicentr. L’attaque a provoqué la mort de 19 civils et 54 blessés. Aucun objectif militaire n’était identifié dans la zone. Les débris des munitions et les vidéos de l’impact ont permis une géolocalisation précise et une identification des armes utilisées.

Ce type de mission repose sur la précision du guidage électronique embarqué. Sans les microcomposants mentionnés, la coordination des munitions de ce type serait difficile, voire impossible. L’enquête établit donc un lien direct entre la présence de composants occidentaux et la capacité technique russe à cibler des objectifs urbains.

L’argument avancé par les autorités russes selon lequel il s’agissait d’un quartier général militaire a été infirmé par des relevés cartographiques et l’absence de structure militaire à proximité. Les résidents interrogés confirment que l’impact était concentré sur une zone purement civile.

Une responsabilité industrielle et politique en question

Le rapport ne conclut pas à une violation délibérée des sanctions par les fabricants. En revanche, il dénonce un manque de diligence raisonnable dans la surveillance des chaînes de distribution. La question posée est éthique : que peut et doit faire une entreprise pour éviter que ses composants ne soient utilisés dans des systèmes d’armes visant des civils ?

Certaines entreprises, notamment dans le secteur des semi-conducteurs, n’ont pas mis en place de traçabilité complète au-delà du distributeur de premier niveau. Cela permet à des composants duals (militaires/civils) de changer d’usage sans déclencher d’alerte interne. L’absence de contrôle terminal sur les destinations finales aggrave le problème.

Les gouvernements occidentaux sont également pointés du doigt pour leur retard à combler les failles réglementaires. Malgré l’adoption de régimes de sanctions spécifiques, les mécanismes de contrôle extraterritoriaux restent lacunaires, notamment en ce qui concerne les exportations indirectes.

Le rapport invite les États à poursuivre les intermédiaires, y compris dans les pays partenaires. Il propose aussi la création de listes de composants à usage critique dans l’aéronautique militaire, assorties d’un traçage en continu, inspiré du modèle des exportations de matières nucléaires sensibles.

Une menace persistante pour la sécurité européenne

Le maintien en opération des avions de chasse Su-34 et Su-35 grâce aux composants électroniques occidentaux constitue un défi stratégique pour les pays européens et pour les États-Unis. Tant que ces flux ne sont pas maîtrisés, la Russie pourra soutenir son effort de frappe à longue distance contre les villes ukrainiennes.

L’analyse d’épaves démontre que la part de composants critiques non russes reste majoritaire dans les systèmes électroniques embarqués. Cela pose une limite à l’efficacité des sanctions, qui sont contournées par les réseaux commerciaux parallèles.

À plus long terme, ces révélations fragilisent les efforts internationaux de contrôle des technologies sensibles, au moment où les technologies duales deviennent la norme. Des microprocesseurs banalisés sont désormais au cœur de systèmes létaux complexes, ce qui impose une révision des règles d’exportation et de certification.

Le rapport appelle enfin à intégrer ces enjeux dans les discussions intergouvernementales sur le contrôle des exportations, y compris dans le cadre des forums multilatéraux comme le Wassenaar Arrangement, afin de réduire l’accessibilité des technologies critiques à des régimes sous sanctions.

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