
Washington réduit de quatre à trois étoiles le grade du commandant USAFE-AFA et d’Allied Air Command. Une décision budgétaire aux effets stratégiques en Europe.
En résumé
Le 2 octobre 2025, le Pentagone a décidé que le poste de commandant des United States Air Forces in Europe – Air Forces Africa (USAFE-AFAFRICA) — cumulant la fonction de chef de l’Allied Air Command (AIRCOM) de l’OTAN à Ramstein — ne serait plus un billet de quatre étoiles, mais de trois étoiles. Le lieutenant-général Jason Hinds est nommé sans promotion, une première depuis la fin des années 1950. La mesure s’inscrit dans une réforme plus large visant à réduire de 20 % les postes de généraux quatre étoiles. Concrètement, le commandement continuera de piloter environ 35 000 personnels et près de 217 aéronefs sur un théâtre couvrant 104 nations, avec deux CAOC (Uedem et Torrejón) en soutien. Mais l’abaissement du grade pourrait peser sur l’influence américaine dans les cénacles OTAN et la relation de pair à pair avec certains chefs d’état-major européens de rang quatre étoiles, alors même que les interceptions liées à la Russie restent élevées (plus de 400 en 2024).
Le fait majeur et son contexte immédiat
Le Pentagone a officiellement « déclassé » le billet de commandant USAFE-AFAFRICA et, par ricochet, celui de commandant de l’Allied Air Command de l’OTAN, du rang général quatre étoiles à lieutenant-général trois étoiles. Le président a transmis la nomination du Lt Gen Jason Hinds au Sénat, sans l’habituel avancement au dernier grade. Cette rupture avec près de sept décennies de pratique marque un tournant institutionnel pour l’US Air Force en Europe.
La logique de réforme au Pentagone
Cette décision découle d’une directive du secrétaire à la Défense Pete Hegseth, qui a imposé au printemps une réduction d’au moins 20 % des postes de généraux quatre étoiles (active et Garde nationale), assortie d’une diminution d’au moins 10 % de l’ensemble des généraux et amiraux. L’objectif affiché : « rationaliser » la structure haute et réallouer des ressources vers les forces. L’abaissement du billet USAFE-AFAFRICA en est une application concrète.
Le fonctionnement normal du commandement
Traditionnellement, USAFE-AFAFRICA est l’un des grands commandements majeurs de l’USAF basés hors des États-Unis. Le commandant, jusqu’ici quatre étoiles, cumule trois casquettes : patron d’USAFE-AFAFRICA, chef de l’AIRCOM de l’OTAN à Ramstein et Directeur du Joint Air Power Competence Centre (JAPCC). À ce titre, il est le conseiller air et espace de l’Alliance et fournit, sur ordre du SACEUR, le cœur du QG responsable de la conduite des opérations aériennes.
La maille d’exécution OTAN : CAOC Uedem et CAOC Torrejón
Sous AIRCOM, les Combined Air Operations Centres (CAOC) d’Uedem (Allemagne) et de Torrejón (Espagne) planifient, dirigent et supervisent l’Air Policing au quotidien. Ils constituent l’échelon de conduite opérationnelle, 24 h/24, 7 j/7, pour la surveillance et l’interception dans leurs zones respectives. Un troisième CAOC permanent doit ouvrir en Norvège pour le Grand Nord.
Les chiffres clés qui cadrent l’enjeu
USAFE-AFAFRICA dirige plus de 35 000 personnels (militaires d’active, réserve, Garde nationale et civils), environ 217 aéronefs (chasse, transport, ravitaillement, voilure tournante) et administre huit wings en Europe, ainsi que 83 unités géographiquement séparées. Le théâtre couvre 104 nations et plus de 15 millions de miles carrés (environ 38,8 millions de km²).
Une activité opérationnelle toujours soutenue
En 2024, les forces de l’OTAN ont effectué plus de 400 décollages sur alerte pour intercepter des aéronefs russes approchant l’espace aérien allié ; la tendance 2025 reste élevée, notamment sur Baltique et mer Noire. Ces volumes confirment le rôle central d’AIRCOM dans la dissuasion et la gestion de crise aérienne en Europe.

L’effet de grade : un détail de protocole ou un vrai levier d’influence ?
Dans l’OTAN, l’autorité découle du poste, pas seulement du grade. Néanmoins, le rang personnel pèse sur l’accès, la capacité de peser dans les réunions de haut niveau et la relation d’égal à égal avec des chefs d’état-major nationaux. Or certains homologues européens — par exemple le Chief of the Air Staff britannique (Air Chief Marshal) — sont de rang quatre étoiles. L’abaissement au trois étoiles place donc le commandant américain en-dessous de quelques pairs, ce que plusieurs observateurs estiment symboliquement défavorable à l’influence américaine dans les arbitrages.
Le rapport de forces au sein de l’Alliance
Concrètement, un commandant quatre étoiles dispose d’une crédibilité accrue pour porter des demandes capacitaires, négocier des règles d’engagement ou imposer des priorités interarmées. En période de tensions récurrentes avec la Russie, ce capital symbolique peut compter dans les comités OTAN, dans la coordination entre AIRCOM et les Joint Force Commands, et dans l’interface avec SACEUR (toujours quatre étoiles). La décision américaine rebat légèrement les cartes de préséance, sans modifier la chaîne de commandement opérationnelle.
L’impact sur la posture de l’USAF en Europe et en Afrique
USAFE-AFAFRICA demeure l’unique composante aérienne américaine immédiatement projetable sur deux zones de responsabilité (USEUCOM et USAFRICOM), avec un spectre complet de missions : Air Policing, défense aérienne intégrée, transport stratégique, ISR, évacuations, entraînement multinational. La réduction de grade ne change ni l’ordre de bataille, ni les moyens d’alerte, ni les plans. Mais elle peut influer sur la vitesse de décision politique, l’arbitrage ressource dans les crises simultanées (Est, Méditerranée, Sahel) et la capacité à « imposer » des priorités face aux autres composantes américaines.
Le signal envoyé aux alliés et aux compétiteurs
Côté alliés, certains y verront une normalisation budgétaire, d’autres un signal de désengagement relatif des États-Unis du théâtre européen, malgré la permanence de l’outil. Côté Moscou, la lecture pourrait nourrir un narratif d’érosion d’autorité, d’où l’importance de compenser par la posture : maintien du tempo d’exercices, présence aérienne avancée, interopérabilité renforcée et rotations d’unités de chasse et d’ISR. Les statistiques d’interceptions et les annonces sur un nouveau CAOC dans le Grand Nord contribuent à dissiper toute ambiguïté.
Les raisons structurelles : coûts, effectifs généraux et recentrage stratégique
La réduction du nombre de quatre étoiles répond à une critique ancienne : une pyramide des grades jugée trop lourde, des redondances au sommet et un besoin de « remettre du muscle » dans les unités opérationnelles. Politiquement, l’administration entend afficher un recentrage prioritaire (homeland defense, Indo-Pacifique) et une plus grande responsabilisation des alliés en Europe et en Afrique. L’abaissement d’USAFE-AFAFRICA s’inscrit dans cette trajectoire, au même titre que d’autres ajustements de billets à l’échelle interarmées.
Les garde-fous institutionnels
Dans l’Alliance, le statut d’AIRCOM — organe central de l’air et de l’espace —, la structure IAMD et la chaîne CAOC assurent la continuité de la défense aérienne en temps de paix comme de crise. La robustesse des procédures NATINAMDS/ACCS, l’entraînement multinational (Baltic, Black Sea, High North) et la présence de QRA(I) 24/7 limitent l’impact d’un changement de grade sur la conduite des opérations au quotidien.
Les effets possibles sur la planification et la coopération
À moyen terme, la négociation des contributions nationales (détachements chasse, AWACS, ravitailleurs), la génération de force pour les grands exercices et la priorisation des modernisations (C2, défense sol-air, ISR multi-capteurs) pourraient exiger un surcroît de diplomatie militaire. Un chef trois étoiles demeure pleinement légitime pour conduire ces chantiers, mais il devra s’appuyer davantage sur l’effet de posture, la performance opérationnelle chiffrable et le poids des résultats (interceptions, délais de scramble, disponibilité flotte) pour convaincre.
La lecture opérationnelle aujourd’hui
Malgré le changement de grade, le Lt Gen Jason Hinds prend la tête d’un commandement à fort héritage, avec des moyens éprouvés et une charge opérationnelle inchangée. L’OTAN a enregistré plus de 300 interceptions d’aéronefs russes en 2023 et plus de 400 en 2024, illustrant une pression constante sur l’Air Policing. La situation de 2025 — incursions, drones, reconnaissance — maintient l’exigence d’une réactivité élevée, où compte avant tout l’efficacité de la chaîne C2 et la fiabilité des règles de coordination.
La question qui demeure
Le cœur du sujet n’est pas tant l’étoile manquante que la capacité à tenir le tempo opérationnel, à orienter l’investissement allié (radars, C2, munitions, défense sol-air) et à préserver l’ascendant décisionnel au sein de l’OTAN. À cet égard, l’abaissement du grade impose surtout un impératif de résultats visibles — disponibilité, délais d’alerte, interopérabilité — pour que l’influence américaine reste alignée sur son rôle historique dans la sécurité aérienne européenne.
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