
Un général de la 25th Infantry Division réclame des drones kamikazes longue portée et bon marché, inspirés des Shahed, pour saturer et étirer les défenses adverses.
En résumé
Le commandant de la 25th Infantry Division, basée à Hawaï, plaide pour l’acquisition par l’U.S. Army de munitions rôdeuses longues distances, proches des Shahed-136, capables d’atteindre des objectifs à plus de 1 000 km et d’être produites en grand volume. Ces drones simples et peu coûteux offrent un rapport coût/effet favorable face à des systèmes de défense onéreux. L’objectif tactique est la saturation : user les stocks de défense, révéler les capteurs ennemis et ouvrir des fenêtres pour des frappes de précision. Techniquement, la recette combine motorisation à pistons, guidage GNSS/INS, et cellules standardisées ; les défis majeurs sont la résilience au brouillage, la robustesse des composants et la logistique de production à l’échelle industrielle. Le débat porte sur la doctrine d’emploi, le cycle d’industrialisation et les contre-mesures adverses qui évoluent rapidement.
Le contexte opérationnel et la prise de position
Le commandant de la 25th Infantry Division a exprimé récemment que l’Armée américaine « a absolument besoin » d’un vecteur de frappe à sens unique et à longue portée, inspiré par les usages russes des Shahed en Ukraine. Cette demande s’inscrit dans une logique de préparation pour le théâtre indo-pacifique, où les distances entre bases et objectifs sont parfois très grandes et où l’adversaire dispose de couches défensives denses. La leçon principale tirée du conflit ukrainien est simple : des munitions bon marché, lancées en série, peuvent contraindre l’adversaire à mobiliser des ressources disproportionnées pour s’en défendre.
Le drone Shahed-136 : caractéristiques techniques et capacités opérationnelles
Le Shahed-136 — désigné Geran-2 en service russe — est une munition rôdeuse de conception relativement rudimentaire : environ 3,5 m de long, 2,5 m d’envergure, masse autour de 200–240 kg et une charge explosive estimée de 30–50 kg selon les versions. Sa propulsion repose sur un moteur à pistons entraînant une hélice pusher, ce qui optimise consommation et coût mais limite la vitesse (≈ 180 km/h). Les estimations de portée varient largement : des profils font état de 1 000 à 2 000 km selon la version et la charge carburant. Le guidage combine généralement GNSS et INS avec des trajectoires préprogrammées et, pour certaines variantes modernisées, des capteurs terminaux ou équipements permettant un verrouillage amélioré. Ces caractéristiques expliquent pourquoi ces munitions sont recherchées : elles offrent un coût unitaire relativement bas pour un effet stratégique notable.
La doctrine d’emploi : saturation, frappe en profondeur et harcèlement
La force principale de ces munitions tient à la masse et à la répétition. Employées par vagues, elles peuvent provoquer la saturation des défenses aériennes ennemies, forçant la dépense de munitions coûteuses et la révélation des positions radar. En frappe en profondeur, leur portée permet d’atteindre dépôts logistiques, nœuds électriques, stations radar et infrastructures de commandement. En mode harcèlement, des salves régulières perturbent la maintenance et la résilience logistique adverse. Ce paradigme n’exclut pas l’usage combiné de munitions de précision : l’idée est d’utiliser la munition bon marché pour ouvrir des fenêtres, puis de frapper avec des systèmes plus coûteux sur des cibles de valeur.
La posture industrielle américaine : programmes et lacunes identifiées
Les États-Unis ont amorcé des réponses industrielles : le programme Replicator et l’achat public du Switchblade-600 montrent la volonté d’industrialiser des munitions rôdeuses et des essaims de drones. Toutefois, ces systèmes restent principalement orientés vers des portées tactiques ou opératives limitées ; la lacune identifiée par plusieurs officiels est l’absence d’une capacité longue portée à très faible coût comparable aux Shahed-type, produite par milliers. Le défi industriel implique de sécuriser une chaîne d’approvisionnement capable de fabriquer cellules, moteurs, commandes de vol et charges en volume et à un prix compressé.
La technologie clé : navigation, guidage et immunité électronique
Pour conserver l’efficacité à longue portée, il faut améliorer l’immunité GNSS (anti-jamming), déployer des INS de meilleure qualité et intégrer des modes alternatifs (cartographie image-à-image, altimétrie, corrections terrestres). Une guidance terminale simple suffit souvent, mais l’ajout de capteurs EO/IR bon marché augmente la probabilité d’effet sans multiplier les coûts. La motorisation à pistons limite le coût mais expose à une signature acoustique ; une motorisation plus rapide (turbine) améliorerait la survivabilité au prix d’un coût unitaire bien plus élevé. L’équation technique est donc un triple compromis entre coût, portée et résilience au brouillage.
L’économie de l’attrition : coût par effet et cadence de production
Le raisonnement stratégique est économique : dépenser 50 000–100 000 USD pour une munition destinée à neutraliser ou détourner un intercepteur évalué à plusieurs centaines de milliers, voire un million de dollars, inverse l’équilibre économique de la défense. Atteindre cet objectif exige des achats massifs, des contrats multi-annuels, et une cadence d’industrialisation permettant la production en milliers d’unités. Le Pentagone a déjà budgété plusieurs centaines de millions par an pour Replicator ; traduire cet effort en une munition longue portée low-cost nécessitera des fournisseurs multiples et des tests rapides d’itération.

Les limites tactiques et les contre-mesures adverses
Malgré leurs atouts, ces drones restent vulnérables : vitesse modeste, signature acoustique détectable, sensibilité au brouillage GNSS, et exposition aux tirs d’armes légères, canons antiaériens et intercepteurs. Les réponses adverses incluent l’amélioration des radars basse fréquence, le déploiement de destroyers de drones, l’usage d’anti-drones autonomes et les mesures de guerre électronique. L’adaptation tactique nécessaire est de multiplier les trajectoires, d’alterner profils et charges, et d’intégrer leur emploi dans des frappes combinées pour maximiser l’attrition ennemie.
L’intérêt spécifique pour la 25th Infantry Division et l’Indo-Pacifique
Pour une division déployée dans un espace archipélagique et dispersé, une munition longue portée et bon marché devient un bras prolongé depuis de petites bases, îlots ou navires auxiliaires. Elle permet de frapper des cibles éloignées, de contraindre la défense ennemie à se disperser, et de soutenir la mise en œuvre d’une posture A2/AD adverse. La question d’échelon d’emploi reste clé : ces capacités exigent des cellules spécialisées et une logistique dédiée pour ne pas surcharger les unités de manœuvre.
Perspectives et choix stratégiques
Les signaux budgétaires indiquent une trajectoire vers un portefeuille mixte : munitions rôdeuses tactiques (Switchblade), programmes d’essaims (Replicator) et, potentiellement, une ligne « longue portée low-cost » inspirée du Shahed-136 mais adaptée aux standards américains. Le défi final est d’atteindre l’équilibre optimal entre simplicité, résilience et cadence de production, tout en limitant les risques d’escalade et en préservant la supériorité technologique sur les contre-mesures ennemies.
La question n’est pas d’imiter une plateforme étrangère par pur mimétisme, mais d’absorber une leçon tactique : l’attrition et la saturation à bas coût peuvent devenir un levier stratégique. Il reste à définir les garde-fous industriels et doctrinaux pour que cette capacité renforce la dissuasion sans la banaliser.
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