La Turquie choisit le Typhoon pour renforcer sa flotte de chasse

La Turquie choisit le Typhoon pour renforcer sa flotte de chasse

Un accord entre Ankara et Londres pourrait faire du Typhoon l’avion de chasse principal de la Turquie face à l’usure de ses F-16.

Le Eurofighter Typhoon est en passe de devenir le nouvel avion de chasse turc, à la suite d’un mémorandum d’entente signé le 23 juillet 2025 entre le Royaume-Uni et la Turquie. Ce développement stratégique survient après l’exclusion d’Ankara du programme F-35 en 2019 et face à l’obsolescence progressive de sa flotte de F-16. Le contrat, encore à finaliser, pourrait concerner 40 appareils Tranche 4, accompagnés de missiles Meteor de dernière génération. L’accord implique également une participation industrielle turque. Cette commande serait vitale pour BAE Systems, menacée par la fermeture de la ligne d’assemblage du Typhoon à Warton. Alors que le programme national TF Kaan n’aboutira pas avant 2030, le Typhoon représente une solution transitoire crédible pour garantir la défense aérienne turque et maintenir l’équilibre stratégique face à la Grèce.

La Turquie choisit le Typhoon pour renforcer sa flotte de chasse

Un virage stratégique pour Ankara après l’exclusion du F-35

L’achat potentiel du Eurofighter Typhoon s’inscrit dans un processus diplomatique et industriel entamé après l’éviction de la Turquie du programme F-35 en 2019. Cette exclusion faisait suite à l’achat de systèmes de défense S-400 russes, jugés incompatibles avec les normes de l’OTAN. Ankara avait initialement commandé 100 F-35A, avec une participation industrielle directe dans leur production, notamment via Turkish Aerospace Industries.

Ce retrait forcé a profondément déséquilibré la planification capacitaire de l’armée de l’air turque, qui envisageait le F-35 comme son futur chasseur principal pour remplacer progressivement les F-16 vieillissants. Le manque de visibilité sur une alternative crédible a ouvert une séquence d’explorations techniques et diplomatiques : offres russes de Su-57 rejetées, négociations difficiles avec Washington sur de nouveaux F-16, puis discussions avec l’Europe.

En parallèle, Ankara a tenté de relancer ses relations avec les États-Unis. En janvier 2024, la diplomate Victoria Nuland évoquait un possible retour dans le programme F-35, à condition que la Turquie abandonne les S-400. Malgré ce signal d’ouverture, aucun accord n’a été trouvé, d’autant que le Congrès américain continue de bloquer tout rapprochement stratégique tant que les tensions régionales persistent, notamment avec la Grèce et au sujet de la Syrie.

La solution Typhoon, portée par un accord politique entre Londres et Ankara, constitue donc un basculement concret vers une réorientation européenne du réarmement turc, tout en renforçant les chaînes industrielles britanniques.

Le Typhoon Tranche 4 : capacités techniques et calendrier incertain

L’accord signé lors du salon IDEF 2025 reste à ce stade un mémorandum d’entente, mais plusieurs éléments indiquent que la négociation est avancée. Selon les déclarations officielles, la commande turque porterait sur 40 Typhoons Tranche 4, la version la plus récente de l’avion européen.

Cette version bénéficie d’une avionique modernisée, d’un radar AESA Captor-E à balayage électronique, et de capacités d’interopérabilité avancées. Elle est également compatible avec le missile Meteor à longue portée, capable d’engager des cibles à plus de 200 kilomètres, un argument stratégique majeur dans le contexte des tensions avec la Grèce, déjà équipée du Meteor via ses Rafale.

Le Typhoon Tranche 4 peut atteindre Mach 2, avec une altitude de service de 16 700 mètres, et une capacité d’emport d’environ 7 500 kg d’armement. Il peut opérer dans un large éventail de missions : supériorité aérienne, frappes air-sol, reconnaissance, et interception.

Cependant, ni la date de livraison ni le calendrier de formation des pilotes turcs n’ont été précisés. Le processus d’assemblage final est partagé entre les quatre partenaires européens du programme (Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie). Une part significative de la production pourrait cependant être localisée en Turquie, selon les termes habituels des contrats de compensation industrielle.

Cette commande serait également cruciale pour maintenir en activité la chaîne d’assemblage de Warton au Royaume-Uni, dont la fermeture définitive était envisagée en l’absence de nouvelles commandes après la livraison des avions pour le Qatar.

Une décision politique aux retombées économiques et industrielles bilatérales

L’achat du Typhoon dépasse la simple dimension opérationnelle. Il répond à des enjeux industriels majeurs des deux côtés. Pour la Turquie, il s’agit d’assurer la transition entre les F-16 vieillissants et l’entrée en service du programme national TF Kaan, prévue au plus tôt en 2030. L’Eurofighter devient donc une solution temporaire, mais robuste, pour maintenir les capacités de l’armée de l’air.

Pour le Royaume-Uni, il s’agit de sauver des milliers d’emplois dans l’aéronautique militaire. La chaîne d’assemblage de Warton emploie environ 5 000 personnes directement, et plus de 20 000 indirectement dans les sous-traitants. L’accord, salué par le Premier ministre britannique, est aussi un outil de diplomatie économique : maintenir l’exportation du Typhoon permet de soutenir l’industrie de défense nationale, en perte de vitesse depuis la fin des commandes européennes.

L’union syndicale Unite a rappelé que la fermeture de Warton aurait été un échec stratégique et social pour le pays. L’exportation vers Ankara, même controversée dans certains milieux politiques, constitue donc un levier d’équilibre industriel.

D’un point de vue commercial, cette vente pourrait représenter un montant total de 7 à 10 milliards d’euros, en incluant l’ensemble des missiles, pièces détachées, maintenance et formation.

Une coopération renforcée, mais encore sujette à validation politique

Le programme Eurofighter repose sur une gouvernance multinationale. Toute vente à un pays tiers doit recevoir l’aval de l’ensemble des partenaires. Or, l’Allemagne a longtemps opposé un veto, notamment pour des raisons géopolitiques : tensions en Méditerranée orientale, interventions militaires turques en Syrie, et position d’Ankara sur l’adhésion de la Suède à l’OTAN.

Le feu vert de Berlin, confirmé par le magazine Der Spiegel, a été obtenu en juillet 2025 via son conseil fédéral de sécurité. Ce tournant diplomatique montre que l’Allemagne a accepté de s’aligner sur une approche plus souple, probablement en échange de garanties sur l’usage des avions et sur une supervision de certains aspects techniques.

Ce feu vert ne signifie toutefois pas une absence de débat au Bundestag. La question turque reste sensible, notamment en matière de droits humains et de projection de puissance. Le contrat, bien que probable, peut encore être freiné par des éléments politiques internes ou des révisions budgétaires à Ankara.

La Turquie choisit le Typhoon pour renforcer sa flotte de chasse

Le Typhoon en concurrence avec le Kaan et les drones turcs

L’acquisition de Typhoons survient dans un contexte de diversification des programmes de défense turcs. Le projet TF Kaan, développé par Turkish Aerospace Industries, a effectué son premier vol en février 2024. Cet appareil de cinquième génération, au design à faible signature radar, doit symboliser l’autonomie industrielle d’Ankara dans l’aviation de combat.

Toutefois, le programme souffre de retards techniques majeurs, notamment en ce qui concerne la motorisation. Les premières livraisons ne sont pas attendues avant 2030-2032. En parallèle, la Turquie développe également une flotte de drones d’attaque avancés, tels que l’ANKA-3 à voilure volante et le Bayraktar Kizilelma, à mi-chemin entre drone et chasseur léger.

Ces systèmes autonomes représentent une alternative pour certaines missions, mais ne remplacent pas les capacités de combat air-air du Typhoon dans un contexte de confrontation symétrique avec des États.

Le choix du Typhoon est donc un compromis réaliste : acquérir un appareil éprouvé, en service dans plusieurs pays de l’OTAN, pour sécuriser les capacités aériennes d’ici à l’émergence d’une offre nationale crédible.

Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.

A propos de admin 1803 Articles
Avion-Chasse.fr est un site d'information indépendant dont l'équipe éditoriale est composée de journalistes aéronautiques et de pilotes professionnels.