Corée du Sud: un drone furtif piloté par intelligence artificielle

Corée du Sud: un drone furtif piloté par intelligence artificielle

La Corée du Sud développe un drone furtif autonome destiné à accompagner son chasseur KF-21. Objectif : renforcer la supériorité aérienne avec l’IA.

La Corée du Sud investit massivement dans un drone furtif autonome, destiné à opérer en tandem avec son nouveau chasseur KF-21 Boramae. Ce programme, baptisé Loyal Wingman, mise sur l’intégration de l’intelligence artificielle pour mener des missions de reconnaissance, d’attaque et de suppression de défenses aériennes. Lors d’une simulation récemment présentée, ces drones ont exécuté des frappes coordonnées en interaction directe avec le pilote du KF-21. Les essais au sol sont en cours, avec un premier vol prévu en 2025 et une mise en service visée vers 2030. Le projet traduit une volonté claire de Séoul : automatiser ses capacités de combat aérien tout en réduisant les risques humains, dans un contexte de tensions croissantes en Asie du Nord-Est.

Un programme stratégique pour la doctrine aérienne sud-coréenne

Depuis 2021, la Corée du Sud développe un système de drones de combat furtifs conçu pour fonctionner en coordination étroite avec un avion de chasse habité. L’objectif est d’adopter une structure de combat dite “manned-unmanned teaming” (MMT), où un pilote coordonne les actions de plusieurs drones en vol, chacun pouvant accomplir des missions offensives, défensives ou de renseignement. Ce principe repose sur un pilotage partiellement décentralisé, dans lequel l’humain conserve le contrôle stratégique, mais délègue l’exécution tactique à des intelligences artificielles embarquées.

Dans cette configuration, le drone devient un multiplicateur de force : il agit comme un éclaireur, un intercepteur ou un chasseur SEAD (Suppression of Enemy Air Defenses). Grâce à leur forme furtive et leur programmation en essaim, ces plateformes peuvent précéder l’entrée du chasseur principal dans une zone contestée. En cas de menace, les drones prennent les risques initiaux, réduisant ainsi l’exposition de l’appareil habité. Cela correspond à une tendance mondiale, déjà visible avec le Skyborg américain, le MQ-28 Ghost Bat australien ou le Remote Carrier européen.

Le choix de l’intégration de l’intelligence artificielle dans ces drones traduit une évolution profonde dans la doctrine sud-coréenne. Séoul considère qu’automatiser la gestion tactique de l’espace aérien permettra de compenser le déséquilibre numérique face à ses voisins. En 2023, la Chine comptait près de 1900 avions de chasse (source : Global Firepower), contre plus de 400 pour la Corée du Sud. La solution envisagée n’est donc pas l’égalisation par la quantité, mais par l’efficacité algorithmique. La simulation diffusée par KAI (Korea Aerospace Industries) montre un pilote de KF-21 capable de donner un ordre unique (“strike”) à plusieurs drones, qui exécutent ensuite des frappes précises contre des radars ennemis.

Le rôle du KF-21 Boramae dans le dispositif offensif

Le KF-21 Boramae, développé par KAI en partenariat avec l’Indonésie, est le premier chasseur supersonique sud-coréen conçu localement. Il vise à remplacer les F-4 Phantom et F-5 vieillissants, tout en offrant une alternative aux F-35 américains pour les exportations. Le Boramae affiche une vitesse de Mach 1,8, un rayon d’action d’environ 2900 km, et une capacité d’emport de 7,7 tonnes d’armement. Son radar AESA, son cockpit numérique et son architecture ouverte en font un appareil de 4,5e génération, proche des standards du Rafale ou de l’Eurofighter.

En ajoutant une capacité drone associée, la Corée du Sud augmente la flexibilité du KF-21. Celui-ci n’est plus limité à des missions directes : il peut désormais coordonner des actions aériennes élargies, incluant la guerre électronique, la pénétration en profondeur, ou la neutralisation de SAMs. Cette architecture distribuée place le Boramae dans une nouvelle catégorie de plateformes capables d’opérations multi-domaines.

Du point de vue industriel, ce tandem drone-chasseur valorise l’offre à l’export. Le programme KF-21 vise explicitement des marchés étrangers, notamment en Asie du Sud-Est, au Moyen-Orient et potentiellement en Amérique du Sud. Le développement d’un module “loyal wingman” en renforce l’attractivité. La mise en service du drone est prévue vers 2030, soit dans une fenêtre propice à plusieurs renouvellements de flotte. Dans les années à venir, des pays comme la Malaisie, les Philippines ou le Pérou pourraient s’équiper, à condition que le tandem soit plus abordable que les solutions américaines ou européennes.

Corée du Sud: un drone furtif piloté par intelligence artificielle

Un drone furtif piloté par intelligence artificielle

Le drone présenté par KAI reste au stade de démonstrateur, mais il présente déjà plusieurs caractéristiques précises. Il est équipé d’un fuselage furtif à faible section radar, d’une charge utile électro-optique, et de gouvernes de vol testées au sol. Le prototype visible dans la vidéo diffusée sur SBS (chaîne nationale coréenne) montre une cellule peinte en blanc, avec des marquages rouges pour les essais en soufflerie et la vérification des flux.

Le concept repose sur un drone semi-autonome capable de fonctionner en essaim ou individuellement, avec une liaison de données sécurisée vers l’avion principal. Les drones reçoivent des ordres de mission, identifient les cibles grâce à leurs capteurs, puis exécutent des frappes ou des actions de brouillage. Les capteurs à bord sont optimisés pour la détection électromagnétique et infrarouge, et leur fusion permet une autonomie décisionnelle localisée. Cela signifie que même en cas de perte de liaison avec le pilote, les drones peuvent poursuivre leur mission selon des paramètres préprogrammés.

La masse au décollage n’est pas encore rendue publique, mais les performances attendues s’aligneraient sur celles du nEUROn ou du XQ-58 Valkyrie, soit une masse de l’ordre de 3 à 6 tonnes, avec une autonomie d’environ 1500 km. Ces drones sont conçus pour opérer en première ligne, à haute vitesse, et transporter des munitions guidées ou des brouilleurs. En cas de besoin, ils peuvent aussi servir de leurre radar, augmentant ainsi la capacité de pénétration du dispositif aérien dans des espaces aériens contestés.

Un calendrier industriel ambitieux mais réaliste

Le calendrier annoncé par KAI et le ministère sud-coréen de la Défense prévoit un premier vol du drone furtif d’ici fin 2025. Des essais conjoints avec le KF-21 seraient menés dès 2026, et la qualification opérationnelle complète visée pour 2027. La mise en service effective dans les forces sud-coréennes serait envisagée autour de 2030. Pour respecter cette échéance, des jalons techniques sont déjà en cours : essais en soufflerie, tests des commandes de vol, développement de l’interface IA avec les pilotes. La chaîne d’assemblage serait adossée au site principal de KAI à Sacheon.

Ce calendrier coïncide avec les échéances de plusieurs pays concurrents. Les États-Unis prévoient l’entrée en service opérationnelle du programme Collaborative Combat Aircraft (CCA) vers 2030. L’Europe développe ses propres projets dans le cadre du SCAF ou de Tempest, mais reste en phase préindustrielle. En intégrant plus vite ces technologies, la Corée du Sud pourrait se positionner comme un fournisseur alternatif crédible, en particulier pour des armées souhaitant disposer rapidement de solutions MMT.

Ce programme pourrait aussi permettre à Séoul de réduire sa dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis. Bien que le F-35 reste un pilier de la dissuasion sud-coréenne (40 exemplaires livrés à ce jour), la Corée du Sud ambitionne d’élargir son autonomie stratégique. Un drone 100 % local, associé à un chasseur national, représente un outil souverain de contrôle de l’espace aérien, sans restriction d’usage imposée par un partenaire étranger. À terme, cela pourrait faire évoluer les choix stratégiques d’exportation, notamment vers des pays non-alignés.

Conséquences opérationnelles et géopolitiques du projet

L’intégration d’un drone furtif dans la doctrine de la ROKAF modifie significativement les équilibres tactiques régionaux. Face à une Corée du Nord instable, et dans un contexte de tension constante avec Pékin, le recours à des plateformes autonomes permet à la Corée du Sud d’étendre ses capacités de dissuasion active, tout en limitant l’exposition de ses pilotes.

Ce changement technologique a aussi des conséquences dans les alliances. Si Séoul maîtrise son propre système drone-chasseur, elle peut proposer des exercices conjoints, des formations pilotes et des coopérations industrielles avec des partenaires de second rang. Cette capacité augmente son influence régionale, notamment auprès de pays ayant une armée de l’air réduite mais souhaitant intégrer des technologies de rupture sans dépendre des États-Unis.

Enfin, le projet coréen impose une accélération chez les autres puissances. La Chine, qui teste le J-35, n’a pas encore présenté de système loyal wingman abouti. La Russie, en difficulté industrielle, n’a pas de calendrier clair pour un drone opérationnel équivalent. Si la Corée du Sud atteint ses objectifs en 2027, elle deviendra le premier pays hors OTAN à disposer d’une architecture MMT opérationnelle, ce qui constitue une évolution majeure dans l’équilibre aérien mondial.

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