Algérie–Maroc : la course aérienne qui agite le Maghreb

algerie vs maroc

L’Algérie et le Maroc investissent massivement dans leurs avions de chasse, alimentant une rivalité militaire lourde de conséquences régionales.

Le contexte d’une rivalité persistante

Depuis l’indépendance, l’Algérie et le Maroc entretiennent une relation marquée par la méfiance et les tensions. Le conflit frontalier de 1963, connu sous le nom de guerre des sables, a laissé une trace durable. La question du Sahara occidental, toujours en suspens, accentue cette rivalité et rend tout rapprochement difficile. La fermeture de la frontière terrestre depuis 1994 illustre ce climat d’hostilité.

Dans ce contexte, la modernisation des armées de l’air des deux pays n’est pas un simple renouvellement technique : elle est perçue comme un indicateur du rapport de forces régional. Chaque acquisition est scrutée comme un signal politique et militaire. Pour Alger comme pour Rabat, la suprématie aérienne est devenue un objectif central, car elle constitue un atout majeur dans un éventuel affrontement, mais aussi un outil de dissuasion et de prestige.

Les budgets de défense : un déséquilibre assumé

Sur le plan budgétaire, l’écart est significatif. L’Algérie a consacré en 2023 près de 18,3 milliards de dollars à sa défense, soit plus de trois fois le budget marocain, estimé à 5,2 milliards de dollars. Cette différence permet à Alger de maintenir des effectifs militaires plus nombreux, environ 520 000 personnels actifs, contre environ 200 000 pour le Maroc.

Cette supériorité financière et humaine se traduit aussi dans l’inventaire aérien. L’Algérie aligne environ 213 avions de combat, contre 102 pour le Maroc. Mais Rabat mise sur une logique différente : acquérir des appareils plus modernes et technologiquement avancés, capables de rivaliser qualitativement avec la supériorité numérique algérienne.

Les acquisitions algériennes : continuité et volume

L’armée de l’air algérienne entretient depuis longtemps des liens étroits avec la Russie, principal fournisseur de son arsenal. En 2019, Alger a commandé 16 Su-30MKA supplémentaires pour un montant de 1,8 milliard de dollars, renforçant une flotte déjà conséquente de ce modèle. En 2025, elle a commencé à recevoir des Sukhoi Su-35, chasseurs multirôles réputés pour leur manœuvrabilité et leur rayon d’action.

L’Algérie s’intéresse également aux programmes de nouvelle génération, comme le Su-57 russe, même si aucune commande ferme n’a été confirmée. Parallèlement, elle diversifie marginalement ses acquisitions avec des appareils européens, à l’image d’hélicoptères AW139 achetés à l’italien Leonardo pour des missions logistiques.

La stratégie algérienne repose sur la quantité et la résilience, avec une flotte nombreuse, capable de couvrir l’ensemble du territoire national, le plus vaste d’Afrique, et de maintenir une capacité de projection dans la région du Sahel.

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Les choix marocains : modernité et interopérabilité

Face à cette puissance aérienne, le Maroc privilégie une approche qualitative. En 2008, Rabat a signé un contrat majeur pour 25 F-16 Block 52, modernisés ensuite au standard Block 72, pour un montant avoisinant 2,8 milliards de dollars. Ces avions constituent l’épine dorsale de l’aviation marocaine et sont compatibles avec les systèmes de l’OTAN.

Le royaume a aussi modernisé ses Mirage F1 en version MF2000, pour environ 350 millions d’euros, prolongeant leur durée de vie et améliorant leur avionique. Plus récemment, Rabat a acquis 24 hélicoptères Apache AH-64E, renforçant ses capacités d’attaque au sol.

La perspective la plus marquante demeure toutefois les discussions sur l’acquisition de F-35 américains. Si elles aboutissent, le Maroc deviendrait le premier pays africain à posséder un avion furtif de cinquième génération, bouleversant l’équilibre régional. Une telle avancée inquiète fortement Alger, qui verrait son avantage numérique neutralisé par la supériorité technologique de son voisin.

Les motivations profondes : dissuasion et diplomatie

Au-delà des chiffres et des modèles, ces achats traduisent des motivations politiques claires. Pour l’Algérie, maintenir une armée de l’air imposante répond à une double logique : assurer la défense d’un territoire immense et affirmer son statut de puissance régionale. Sa proximité stratégique avec la Russie et la Chine se reflète dans ses choix d’équipement.

Pour le Maroc, l’enjeu est différent. Rabat, plus limité financièrement, doit s’appuyer sur une alliance forte avec les États-Unis et, dans une moindre mesure, avec Israël depuis la normalisation de leurs relations. Miser sur des avions de chasse de pointe permet de compenser l’infériorité numérique et de renforcer l’interopérabilité avec l’OTAN, un atout en cas de conflit prolongé.

La rivalité aérienne est également une affaire de prestige national. Les gouvernements utilisent ces acquisitions comme des symboles de modernité et de puissance, autant vis-à-vis de leur opinion publique que de leurs partenaires internationaux.

Les conséquences stratégiques dans la région

Cette course aux armements a des répercussions multiples. Elle contribue d’abord à renforcer la dissuasion mutuelle : aucun des deux pays ne peut espérer l’emporter facilement dans un conflit ouvert. Mais elle entretient aussi un climat de méfiance chronique, où chaque acquisition de l’un entraîne une riposte de l’autre.

Sur le plan économique, ces programmes pèsent lourdement. L’entretien d’une flotte moderne exige des budgets considérables, non seulement pour l’achat, mais aussi pour la maintenance, la formation des pilotes et l’acquisition de munitions sophistiquées.

Enfin, l’équilibre stratégique du Maghreb influence directement la sécurité méditerranéenne et sahélienne. Une montée des tensions pourrait fragiliser les coopérations régionales et attirer davantage l’attention des puissances extérieures, déjà très présentes : les États-Unis, la Russie, mais aussi la Chine et les pays européens.

Une voie encore incertaine

La rivalité aérienne entre l’Algérie et le Maroc illustre les tensions persistantes dans le Maghreb. L’Algérie mise sur le volume et ses alliances traditionnelles, tandis que le Maroc cherche à compenser par la modernité et l’intégration occidentale.

Rien n’indique aujourd’hui un ralentissement de cette course. Si Alger devait confirmer l’achat de Su-57 et si Rabat parvenait à obtenir des F-35, le ciel maghrébin entrerait dans une nouvelle phase, dominée par des avions de cinquième génération.

Cette dynamique interroge la stabilité régionale. L’avenir dépendra de la capacité des deux pays à maintenir une dissuasion équilibrée, sans basculer dans une confrontation directe. Le ciel d’Afrique du Nord reste ainsi un espace chargé de rivalités, mais aussi une clé de lecture incontournable pour comprendre les équilibres géopolitiques du Maghreb.

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