Le Jiutian inaugure le drone vaisseau-mère: une soute modulaire pour larguer des mini-drones, créer du bruit tactique et user les défenses.
En résumé
Le Jiutian (aussi appelé Jetank) n’est pas un drone MALE « tireur ». Il est pensé comme un porteur: un aéronef sans pilote d’environ 16 000 kg, annoncé avec 6 000 kg de charge utile, et une soute modulaire présentée comme une ruche. L’idée est simple: produire de la masse au bon moment. En libérant des dizaines, voire plus d’une centaine de cibles, l’attaquant impose une saturation. Les radars doivent suivre trop de pistes, les centres de conduite tirent dans l’urgence, et les missiles d’interception s’épuisent vite. Le Jiutian ne gagne pas par sa furtivité, mais par la pression cognitive qu’il inflige au défenseur. Face à ce modèle, l’Occident travaille déjà sur des « essaims », des leurres et des lanceurs aéroportés, tout en accélérant les contre-mesures: guerre électronique, capteurs distribués, et intercepteurs bon marché. La question devient industrielle: qui peut produire et piloter des effecteurs attritables, à bas coût?
Le Jiutian, un porteur de drones plutôt qu’un drone MALE classique
Le Jiutian (souvent associé au nom Jetank) ne copie pas la logique d’un drone MALE de type MQ-9 Reaper. Là où un MALE patrouille puis tire quelques munitions, le Jiutian est pensé pour amener un ensemble d’effecteurs et le libérer au moment choisi. C’est la logique du drone vaisseau-mère: le porteur réduit son exposition, et ce sont les petits drones qui encaissent le risque.
Les données disponibles situent l’appareil dans une classe inhabituelle pour un UAV armé: environ 16,35 m de long, 25 m d’envergure (82 ft), une masse maximale au décollage annoncée proche de 16 000 kg (35 300 lb) et une charge utile annoncée à 6 000 kg (13 228 lb). La distance de convoyage évoquée atteint 7 000 km (3 780 nm), l’endurance jusqu’à 12 h, et le plafond 15 000 m (49 213 ft). La vitesse maximale publiée est d’environ 700 km/h (378 kn). Ces chiffres ne disent pas tout, mais ils expliquent la promesse: monter haut, porter lourd, se placer loin, puis délivrer une salve.
Le turboréacteur, utile mais pas magique
Le choix d’un turboréacteur sert une idée simple: replacer vite un porteur lourd. Il ne transforme pas le Jiutian en plateforme furtive. Son intérêt est donc surtout dans l’emploi « en lisière »: on le protège par la chasse, on le garde en zone relativement sûre, et on projette l’attaque via l’essaim.
Le module de ruche et l’architecture de l’essaimage
Le point central est une soute modulaire présentée comme une « ruche ». L’inscription Isomerism Hive Module vue sur des visuels est probablement une traduction maladroite, mais l’intention est cohérente: une baie interne capable d’éjecter des effecteurs variés. Les sources les plus prudentes parlent de « dizaines » de petits drones. D’autres évoquent « plus de 100 » unités, ce qui correspond au récit marketing.
Le caractère modulaire est un message opérationnel. La même section peut, en théorie, recevoir des racks de drones de reconnaissance, des brouilleurs, des leurres, ou des munitions rôdeuses. L’essaim devient un menu. L’attaquant compose une salve hétérogène pour compliquer la défense.
Ce que représente un lâcher de 100 effecteurs en masse utile
Avec 6 000 kg de charge utile annoncée, une salve de 100 effecteurs devient plausible si l’on reste dans des masses unitaires de l’ordre de plusieurs dizaines de kilogrammes. En retranchant racks et mécanismes, on obtient une moyenne grossière autour de 50 kg par drone. Cela correspond à de petites munitions rôdeuses à moteur ou à des drones-leurres plus massifs, pas à des quadricoptères légers. C’est typiquement le domaine de l’essaimage: beaucoup d’objets, chacun limité, mais coordonnés.

La saturation cognitive, le mécanisme qui fait peur aux défenseurs
Le Jiutian ne cherche pas la « puissance » au sens classique. Il vise l’épuisement des capteurs, des opérateurs et des stocks. C’est une saturation cognitive: trop de pistes à suivre, trop de décisions à prendre, trop de fenêtres de tir à gérer, surtout si l’attaque mélange leurres, brouillage et vecteurs d’impact.
Le « bruit tactique » naît parce qu’une défense ne traite pas une cible, mais une chaîne d’engagement complète: détection, corrélation, classification, attribution, tir, évaluation des dégâts. Une salve de 100 drones peut faire perdre de précieuses minutes, et forcer une défense à révéler ses radars, ses priorités et ses zones faibles. Même si une large partie est abattue, quelques drones restants peuvent viser ce qui compte: radars, antennes, véhicules de tir, ou capteurs optroniques.
Le piège du coût et du stock
Une défense peut être tentée de tirer haut de gamme sur tout. Or les intercepteurs de défense antimissile sont rares et chers. Les contrats récents autour de PAC-3 MSE situent le coût unitaire dans l’ordre de plusieurs millions de dollars. Face à des drones bon marché, l’asymétrie est brutale. Même Patriot et Iron Dome finissent par souffrir si l’attaquant impose du volume, et surtout s’il force la défense à gaspiller ses meilleurs missiles. Le vaisseau-mère transforme alors une bataille du ciel en bataille de munitions.
Les scénarios d’emploi crédibles si l’essaim est kamikaze
Si le Jiutian libère une centaine de drones « one-way », l’objectif n’est pas la précision chirurgicale. C’est la désorganisation.
Au-dessus d’un littoral, une partie de l’essaim peut servir de leurres et de brouilleurs pour forcer l’activation des radars, pendant que d’autres drones cherchent à frapper les capteurs et les lanceurs. Neutraliser un radar, même temporairement, peut suffire à ouvrir une fenêtre pour une frappe de missiles de croisière ou de missiles antiradar.
En mer, le mécanisme est similaire. Un essaim multi-axes oblige un groupe naval à tirer vite, à gérer des trajectoires variées, et à recharger. Il suffit d’une erreur d’attribution ou d’une saturation locale pour qu’un drone atteigne un capteur ou une zone sensible.
Les réponses occidentales qui convergent vers le même effet de masse
L’Occident ne part pas de zéro. Il assemble des briques qui visent, elles aussi, à projeter du volume et à déporter le risque.
DARPA Gremlins a exploré le lancement et la récupération en vol de drones depuis un porteur. Le but est la réutilisation et la densité d’effets (ISR, guerre électronique) sans exposer l’équipage. LongShot vise un portage différent: un drone lancé par un chasseur s’approche et tire des missiles air-air, pour garder le chasseur à distance.
En parallèle, l’Occident pratique déjà la saturation via des leurres et des effecteurs dédiés. MALD sert à simuler des signatures radar et, selon les versions, à brouiller. Rapid Dragon pousse l’idée d’« arsenal aérien » en mettant en masse des munitions depuis des avions de transport. Les formes diffèrent, mais la logique est la même: rendre la défense débordée.
Les contre-mesures réalistes face à un vaisseau-mère
La défense la plus rentable reste de neutraliser le porteur avant l’ouverture de la soute. Un drone de cette taille, volant haut, est une cible de chasse ou de défense aérienne de zone. Abattre le porteur peut économiser des dizaines d’engagements secondaires.
Ensuite, la guerre électronique vise les liaisons et la navigation. L’objectif n’est pas d’éteindre tout l’essaim, mais de casser sa coordination et de réduire sa précision. C’est un pilier de la contre-UAS moderne.
Enfin, la couche décisive est celle des effecteurs défensifs moins coûteux, produits en quantité. Des intercepteurs anti-drones comme Coyote ou Roadrunner illustrent la recherche d’une réponse soutenable, pour éviter d’utiliser des missiles rares sur des cibles attritables. Le message du Jiutian est net: la défense ne gagnera pas seulement avec de meilleurs radars, mais avec des stocks, des automatismes sûrs et une masse défensive disponible.
Sources
- FlightGlobal, « Chinese Jetank swarm carrier drone completes maiden flight » (15 décembre 2025).
- The War Zone (TWZ), « China’s High-Flying Swarm Mothership Drone Has Flown » (11 décembre 2025).
- People’s Daily Online, « China unveils heavy ‘swarm carrier’ UAV at airshow » (18 novembre 2024).
- DARPA, « Gremlins Program Demonstrates Airborne Recovery » (2021).
- DARPA, « DARPA Initiates Design of LongShot Unmanned Air Vehicle » (8 février 2021).
- U.S. Air Force Materiel Command, « Rapid Dragon conducts first system-level demonstration of palletized munitions » (20 août 2021).
- RTX Raytheon, « Coyote » (fiche système).
- Anduril, « Roadrunner » (fiche produit).
- Reuters, « Lockheed Martin wins $9.8 billion Patriot missile contract » (3 septembre 2025).
- Encyclopaedia Britannica, « Iron Dome » (mise à jour 6 novembre 2025).
- Army Recognition, « …internal bay for one hundred mini UAVs » (12 décembre 2025).
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