De force tournée vers la défense du territoire, la PLAAF revendique désormais une capacité de projection régionale. Sa doctrine suit-elle vraiment ses moyens ?
En résumé
Depuis les années 1990, la doctrine de la PLAAF a profondément évolué. D’une logique de défense du territoire, centrée sur la protection de l’espace aérien national et l’appui aux forces terrestres, l’aviation chinoise se revendique aujourd’hui comme un outil de projection de puissance capable d’opérer au-delà du premier archipel, dans un cadre de Joint Operations (Opérations Interarmées) et de Guerre d’information. Les lignes directrices stratégiques publiées en 1993 et 2004 ont successivement introduit les notions de « guerres locales sous conditions haute technologie » puis « informatisées », tandis que le concept de Défense Active est devenu le pivot doctrinal d’une posture officiellement défensive mais opérationnellement offensive. Sur le plan des capacités, la modernisation est spectaculaire : chasseurs J-20, bombardiers H-6K, avions ravitailleurs YY-20 et transports Y-20 ont nettement accru le rayon d’action de la PLAAF. Pourtant, l’écart reste réel entre la doctrine de combat affichée et la capacité à mener, dans la durée, des campagnes aériennes interarmées complexes, surtout hors du voisinage immédiat de la Chine.
La transformation doctrinale depuis les années 1990
La rupture doctrinale de la PLAAF s’inscrit dans l’évolution globale de la stratégie militaire chinoise. Au début des années 1990, après la guerre du Golfe, Pékin constate la supériorité écrasante de la puissance aérienne américaine. En 1993, les lignes directrices militaires sont révisées : la priorité devient la préparation à gagner des « guerres locales sous conditions de haute technologie ».
En 2004, une nouvelle inflexion consacre la notion de guerres locales informatisées : l’accent est mis sur les réseaux, la fusion des capteurs, la précision des frappes et l’intégration C4ISR (commandement, contrôle, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance). La PLAAF cesse progressivement d’être un simple « parapluie » au-dessus du territoire pour devenir un acteur décisif de la Doctrine de combat chinoise.
Cette évolution demeure encadrée par la Défense Active. Pékin insiste sur une posture stratégiquement défensive : la force armée ne serait employée que pour protéger la souveraineté et les intérêts essentiels. Mais, au niveau opératif, les textes doctrinaux assument des campagnes offensives, y compris préventives, dans l’espace aérien et au-delà des frontières, afin de neutraliser tôt les moyens adverses.
Pour la PLAAF, cela signifie : frapper des bases aériennes ennemies, des systèmes de commandement, des plateformes navales et des centres logistiques, non plus seulement repousser des intrusions au-dessus du territoire. Dès les années 2000, les livres blancs chinois évoquent explicitement le passage d’une mission de « défense aérienne territoriale » à une fonction « défensive et offensive » combinée.
Une doctrine de combat orientée vers la projection régionale
La doctrine actuelle met en avant un spectre complet de campagnes aériennes : offensives aériennes, défense aérienne, blocus aérien, soutien aux forces navales et terrestres, protection de routes maritimes et couverture d’opérations amphibies. Les travaux de RAND sur les concepts d’emploi de la PLAAF décrivent, depuis le tournant des années 2000, une montée en puissance des campagnes aériennes offensives visant à désorganiser le système adverse dès les premières heures du conflit.
L’idée de air-space power émerge également : la PLAAF ne se limite plus à la troisième dimension. Elle se voit comme acteur de la lutte pour la supériorité informationnelle, utilisant satellites, moyens de guerre électronique et capacités antisatellite pour aveugler l’adversaire et protéger ses propres réseaux.
Dans cette vision, la Doctrine de combat repose sur plusieurs piliers :
- surprendre et saturer les défenses adverses par des frappes coordonnées air-mer-cyber ;
- neutraliser rapidement les moyens de commandement et de renseignement ennemis ;
- protéger les zones économiques vitales, notamment les approches maritimes et les grandes agglomérations côtières ;
- étendre le combat au-delà du « premier archipel » pour tenir à distance les forces américaines et alliées.
Cette ambition reste cependant principalement régionale : la priorité demeure la maîtrise des environs immédiats – Taïwan, mers de Chine, ouest du Pacifique – plutôt qu’une capacité de projection globale comparable à celle des États-Unis.
La place centrale de la guerre d’information et des opérations interarmées
Une guerre d’information au cœur de la doctrine
Depuis le début des années 2000, la Guerre d’information est au centre des écrits théoriques chinois. Pékin considère que le camp qui obtient la supériorité informationnelle – c’est-à-dire la capacité à collecter, traiter et exploiter plus vite que l’ennemi des données fiables – prend un avantage décisif. Les documents doctrinaux insistent sur la nécessité de frapper les réseaux de communication, les systèmes de navigation, les capteurs et les centres de décision adverses, tout en protégeant ses propres liaisons.
Pour la PLAAF, cela se traduit par le développement de radars à longue portée, de plateformes d’alerte avancée (KJ-2000, KJ-500), de capacités de guerre électronique embarquées et de moyens cyber offensifs. L’objectif est d’opérer dans un environnement « informatisé », voire demain « intelligetisé » (guerre appuyée par l’intelligence artificielle), où le temps entre détection et frappe se réduit à quelques dizaines de secondes.
Des Joint Operations (Opérations Interarmées) encore en maturation
Les réformes de 2015-2016 ont restructuré la chaîne de commandement autour de cinq commandements de théâtre, chacun responsable d’un espace opérationnel et disposant d’un état-major interarmées. Les forces tactiques de la PLAAF relèvent désormais de ces commandements de théâtre, tandis que le quartier général de l’armée de l’air garde le contrôle des moyens stratégiques (bombardiers, transports lourds, troupes aéroportées).
Sur le papier, les Joint Operations (Opérations Interarmées) deviennent la norme : campagnes combinant frappes aériennes, tirs de missiles balistiques et de croisière, opérations navales et cyber, le tout intégré dans un unique plan de campagne. La PLAAF doit y jouer un rôle de premier plan, à la fois comme vecteur de frappes et comme fournisseur de renseignement et de couverture aérienne.
En pratique, les progrès restent difficiles à mesurer. De nombreux exercices conjoints montrent une montée en gamme réelle, avec des scénarios complexes simulant des opérations autour de Taïwan ou en mer de Chine méridionale. Mais la culture interarmées est récente, les réflexes de service demeurent, et la PLAAF n’a pas encore été testée dans une guerre de haute intensité où la coordination en temps réel serait mise à rude épreuve.
Les capacités réelles de la PLAAF : modernisation rapide, puissance encadrée
En termes matériels, la transformation est spectaculaire. En 2007, la PLAAF aligne encore une majorité d’appareils dérivés de modèles soviétiques des années 1950-1960 (J-6, J-7, Q-5). Moins de vingt ans plus tard, elle repose principalement sur des chasseurs de 4ᵉ et 5ᵉ générations (J-10C, J-11B, J-16, J-20), tandis que les anciens appareils sont retirés ou relégués à des rôles secondaires.
Le volume global de la flotte est resté relativement stable, autour de 2 200 à 2 300 aéronefs, mais la proportion d’appareils modernes a explosé. Dans le même temps, la flotte de soutien – ravitailleurs, transports, avions radar, drones – a été considérablement renforcée. En 2024, la Chine disposerait d’environ 16 ravitailleurs Y-20U/YY-20 et plus de 50 transports lourds Y-20A, sans compter les Y-8 et Y-9 modernisés.
Les bombardiers H-6K/H-6N, capables d’emporter jusqu’à six missiles de croisière à longue portée (plus de 1 500 km), réalisent désormais des patrouilles régulières autour de Taïwan, jusqu’au Pacifique occidental. Ces plateformes, appuyées par les ravitailleurs, donnent à la PLAAF une réelle capacité de frappe en profondeur contre des objectifs navals ou terrestres situés au-delà de la première chaîne d’îles.
La dimension transport et aéroportée s’est aussi renforcée : une cinquantaine de Y-20 et plusieurs brigades aéroportées permettent théoriquement des déploiements rapides de troupes et de matériels sur de longues distances, même si la Chine ne dispose à ce jour que d’une base extérieure permanente, à Djibouti.
Un outil de projection encore essentiellement régional
Malgré ces progrès, la projection de puissance de la PLAAF reste en grande partie régionale. La majorité des sorties de bombardiers et de chasseurs s’effectue dans ou autour de la première et de la deuxième chaîne d’îles : détroits de Taïwan et de Miyako, mer de Chine méridionale, mer de Chine orientale.
La Chine manque encore de plusieurs éléments critiques pour une projection globale :
- un réseau de bases aériennes à l’étranger ;
- un parc de ravitailleurs et de transports comparable en volume à celui des États-Unis ;
- une expérience opérationnelle en campagne prolongée loin du territoire national.
La PLAAF sait désormais franchir ponctuellement de longues distances, mais elle serait mise en grande difficulté pour soutenir, semaine après semaine, des opérations aériennes intenses sur un théâtre lointain, tout en maintenant la pression régionale.

L’écart doctrinal-capacitaire : ambitions et réalités
L’ambition doctrinale – mener des campagnes aériennes coordonnées, intégrées, dans un environnement contesté – précède encore les moyens dans plusieurs domaines. Cet écart doctrinal-capacitaire est visible à trois niveaux.
D’abord, les Joint Operations (Opérations Interarmées) restent imparfaites. Les réformes ont créé des structures, mais la culture, la formation croisée, les systèmes d’information vraiment unifiés prennent du temps à se diffuser. La question clé est la capacité de la PLAAF à coopérer en temps réel avec les forces navales et les forces de missiles dans un environnement où les communications seront brouillées, ciblées, voire partiellement détruites.
Ensuite, la Guerre d’information est à double tranchant. La PLAAF compte sur des réseaux denses de capteurs, de liaisons de données et de satellites pour conduire ses opérations. Mais cette dépendance crée une vulnérabilité symétrique : si l’adversaire parvient à frapper les satellites, à perturber les réseaux ou à infiltrer les systèmes, la capacité de commandement et de coordination pourrait être sérieusement affectée.
Enfin, la réalisation de campagnes aériennes profondément offensives, avec un fort volet de Défense Active, suppose un volume important de plateformes modernes, de munitions guidées de précision et de moyens de soutien. La PLAAF progresse vite, mais les stocks de missiles de croisière, de munitions air-sol à longue portée ou de bombes guidées restent beaucoup moins documentés que sa flotte d’appareils. L’endurance dans la durée d’une telle campagne est donc incertaine.
Une doctrine ambitieuse face au test de la guerre moderne
La trajectoire est claire : l’aviation chinoise a quitté le statut de force défensive de second rang pour devenir un acteur central de la stratégie militaire de Pékin. Sur le papier, la Doctrine de combat de la PLAAF s’aligne désormais sur les standards des grandes puissances : Défense Active offensive, Guerre d’information structurée, Joint Operations (Opérations Interarmées), logique de air-space power et montée en puissance de la projection de puissance régionale.
Mais l’histoire militaire montre qu’entre une doctrine écrite et son exécution dans le brouillard de la guerre, l’écart peut être considérable. La PLAAF n’a pas encore affronté un adversaire de même niveau technologique dans un conflit de haute intensité. C’est seulement dans un tel environnement – fortement contesté, saturé en brouillage, frappes de précision et attaques cyber – que l’on pourra mesurer si les concepts élaborés depuis trente ans correspondent réellement aux capacités opérationnelles construites depuis une décennie.
Sources
– Department of Defense, Military and Security Developments Involving the People’s Republic of China 2024, Washington D.C., 2024.
– DIA, China Military Power, 2019 (chapitre sur la PLAAF et la transition de la défense territoriale à la posture offensive-défensive).
– Roger Cliff et al., Shaking the Heavens and Splitting the Earth: Chinese Air Force Employment Concepts in the 21st Century, RAND Corporation, 2011.
– China Aerospace Studies Institute, PLA Aerospace Power Primer, 3ᵉ édition, Maxwell AFB, 2022.
– Congressional Research Service, China’s Military: The People’s Liberation Army (PLA), R46808, 2021.
– M. Taylor Fravel, Active Defense: China’s Military Strategy since 1949, Princeton University Press, 2019.
– Articles et analyses 2023-2025 sur la modernisation de la PLAAF (Defence Blog, Economic Times, rapports think tanks et études RAND/CSIS).
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