La Roumanie “achète” 18 F-16 pour 1 € : un hub stratégique pour former les pilotes ukrainiens

F-16 Viper Roumanie

Transférés par les Pays-Bas pour 1 €, 18 F-16 rejoignent l’EFTC de Fetești. Objectifs : entraîner les pilotes roumains et ukrainiens et structurer un hub européen.

En résumé

La Roumanie a officiellement pris possession de 18 F-16 ex-néerlandais pour le prix symbolique d’un euro. Ces avions opèrent à l’European F-16 Training Center (EFTC) de Fetești, créé avec la Roumanie (infrastructures), les Pays-Bas (avions) et Lockheed Martin/Draken (instructeurs et maintenance). L’EFTC entraîne déjà des pilotes roumains et, depuis 2024, des pilotes ukrainiens. Le choix du transfert à 1 € n’est pas un “cadeau déguisé” : il consacre l’affectation exclusive à la formation, tout en accélérant la montée en puissance d’un hub de formation F-16 en Europe orientale. En parallèle, la Roumanie étoffe sa flotte nationale : 17 F-16 MLU portugais déjà en service, 32 F-16 norvégiens en cours de livraison et une trajectoire vers le F-35 dans les années 2030. L’enjeu dépasse l’entraînement : il s’agit d’absorber un flux continu d’équipages, de mécaniciens et d’armuriers, d’aligner les standards OTAN et de soutenir l’Ukraine dans le temps long.

Le transfert symbolique à 1 € et ce qu’il signifie vraiment

Le “prix” de 1 € répond à une logique politique et opérationnelle. Les 18 F-16 ex-Koninklijke Luchtmacht ne rejoignent pas une escadre de combat roumaine : ils sont affectés à une mission de formation au sein de l’EFTC. La valeur d’usage, ici, n’est pas dans l’addition de cellules de combat au registre roumain, mais dans la capacité à produire des heures de vol d’instruction, à ouvrir des sillons pédagogiques (conversion, tactiques, tir, guerre électronique) et à standardiser des méthodes au profit de plusieurs forces aériennes. En clair : l’euro symbolique matérialise une cession sous conditions où la finalité l’emporte sur la transaction financière. Cette formule simplifie aussi la gouvernance : moins de friction contractuelle, plus de réactivité pour l’emploi quotidien des avions, tout en gardant un cadre intergouvernemental clair. Les néerlandais se délestent d’un parc en fin de carrière nationale mais encore très pertinent pour l’entraînement, la Roumanie consolide son rôle de pays cadre sur la côte Est de l’OTAN, et l’Ukraine bénéficie d’un pipeline de formation proche, sûr et durable. L’effet d’annonce — “pour un euro” — est secondaire ; la réalité, ce sont des centaines d’heures de vol transférées chaque mois de la théorie au terrain.

L’EFTC de Fetești : une plateforme européenne d’entraînement à haute cadence

L’European F-16 Training Center à Fetești (Baza 86) est conçu comme un dispositif complet : pistes, simulateurs, salles de mission, ateliers, pièces détachées, et équipes mixtes instructeurs-techniciens. Le modèle pédagogique suit la grammaire OTAN : conversion opérationnelle F-16AM/BM (Block 15 MLU), procédures IFR, ravitaillement en vol, gestion capteurs (radar MLU, Litening/équivalents), emploi de munitions guidées et entraînement tactique (BVR, COMAO, SEAD). La cadence est le cœur du sujet : pour l’Ukraine, il faut produire des pilotes “mission ready” en mois, pas en années. Un schéma type : 20-25 semaines de conversion pour un pilote déjà qualifié sur chasseur, puis modules tactiques incrémentaux. Côté mécanique, des promotions de techniciens ukrainiens et roumains passent par les bancs systèmes, l’apprentissage des inspections MLU (cellule, moteur F100/F110 selon configuration), l’armement, l’oxygène, le carburant et la sécurité munitions. L’EFTC démultiplie l’effet de parc : 18 avions dédiés formation = davantage de créneaux, moins de conflits avec les agendas “police du ciel” et “QRA” des escadrons nationaux. L’implantation en Roumanie offre aussi des espaces d’entraînement variés, des corridors aériens moins saturés que l’Europe de l’Ouest, et une proximité géopolitique utile pour les forces concernées.

La flotte roumaine : de la transition MiG-21 à l’échelon F-16, cap vers F-35

La Roumanie sort d’une longue période MiG-21 LanceR. La bascule s’est opérée avec 12 F-16 MLU portugais (2016-2017), suivis de 5 appareils supplémentaires livrés d’ici 2021, portant le premier lot à 17. Puis est venu le contrat norvégien : 32 F-16 pour environ 388 M€, incluant pièces, formation et adaptation à la configuration M6.5.2. Les livraisons se sont échelonnées à partir de 2023 et 2024, pour atteindre un parc national conséquent. Insistons : les 18 ex-néerlandais transférés à 1 € n’augmentent pas le nombre d’avions de combat “ligne” roumains ; ils stabilisent la capacité de formation. Cette distinction compte pour la planification : une chose est l’ordre de bataille, autre chose la production d’équipages. À l’horizon 2030, Bucarest vise l’introduction du F-35 (premier lot de 32), ce qui impose d’ores et déjà une culture de maintenance prédictive, d’interopérabilité et d’architecture ouverte. La séquence F-16 (Portugal + Norvège) est la marche intermédiaire indispensable : elle crédibilise la transition, standardise les procédures OTAN et acculture le personnel à l’avionique occidentale récente.

Le profil technique des F-16 MLU : un standard idéal pour former vite et bien

Les F-16 Block 15 MLU ex-néerlandais restent très pertinents pour l’instruction opérationnelle. La modernisation MLU a porté sur : calculateur de mission, affichages, compatibilité Link 16, capacités BVR accrues, emploi de munitions guidées de précision, et intégration de nacelles optroniques. Le radar modernisé et la gestion de la situation tactique, même s’ils n’égalent pas les standards AESA des F-16V, restent exigeants pour entraîner à la fusion capteurs-armements. Sur le plan moteur, selon versions, on rencontre F100-PW-220/229 ou F110-GE-100, ce qui expose les mécaniciens à des chaînes logistiques et de maintenance différentes — utile lorsqu’on forme pour des utilisateurs multiples. Côté structures, l’aire MLU a bénéficié d’extensions de potentiel (heures de vol cellule) permettant d’encaisser une forte cadence d’instruction. L’intérêt pédagogique est clair : le MLU est assez moderne pour enseigner les tactiques actuelles, tout en restant tolérant et documenté pour l’apprentissage. Pour l’Ukraine, cela signifie arriver sur un F-16 “de guerre” avec une base solide : IFR, tir air-air court/moyen rayon, air-sol guidé, guerre électronique de base, survivabilité, et travail en réseau.

La place de l’Ukraine : un pipeline d’équipages qui s’inscrit dans la durée

Le cœur de l’actualité, c’est l’entraînement des pilotes ukrainiens. L’EFTC simplifie la logistique (proximité, statut OTAN, environnement de sécurité), réduit les délais, et permet une montée en puissance par vagues. Un cycle réaliste : conversion sur simulateurs + vols biplace, bascule monoplace, modules tactiques, puis retour unité pour montée au combat. Les progrès se mesurent en sorties par semaine et en modules validés (air-air, air-sol, suppression de défenses). La contrainte, soyons francs, ce n’est pas l’avion ; c’est la ressource humaine : former assez de pilotes, navigateurs sol, contrôleurs, mécaniciens et armuriers pour soutenir des taux de sortie élevés en opérations. L’EFTC répond précisément à cela. L’autre bénéfice : un standard commun OTAN réduit les frictions de coalition ; demain, les équipages ukrainiens pourront opérer avec des ATO (Air Tasking Orders) alignés, des brevets compatibles, et des procédures de circulation aérienne et de sécurité partagées. Cette base est essentielle pour la résilience à moyen terme.

La mécanique de l’entraînement : instructeurs, simulateurs et maintenance

Un centre de formation ne vit pas de belles photos, mais de disponibilité technique. Les 18 F-16 dédiés doivent tourner avec des taux de dispo élevés : planification d’inspections, cannibalisation minimale, stocks critiques anticipés, contrats de soutien bien ficelés. La présence d’instructeurs et techniciens fournis via Lockheed Martin et Draken International renforce la fiabilité du dispositif : méthodes standardisées, documentation à jour, formation des formateurs. Les simulateurs haut de gamme (réseau, environnement électromagnétique, scénarios interarmées) absorbent une part significative du cursus, réduisant les coûts et préparant mieux aux vols réels. Pour tenir la cadence, il faut aussi des pistes dédiées, des zones de travail aérien disponibles et une cellule de planification qui sait empiler les créneaux sans saturer. Là encore, Fetești coche les cases.

F-16 Viper Roumanie

Les effets géopolitiques : un signal fort sur le flanc Est de l’OTAN

Le transfert à 1 € est un signal politique. Il acte un partage de charges : les Pays-Bas apportent la matière (les avions), la Roumanie fournit le terrain et l’ossature, les industriels américains fixent la méthode et le soutien, et l’Ukraine capte la valeur opérationnelle. C’est la version européenne du “train as you fight” : entraîner là où l’on se battra peut-être demain. L’effet régional est immédiat : l’EFTC attire des stagiaires, fédère des standards, et ancre la Roumanie comme pays cadre. Il pèse aussi sur l’économie de guerre : plutôt que multiplier des centres partout, on massifie à Fetești, on mutualise stocks, instructeurs, simulateurs et mises à jour. Enfin, c’est un message vers Moscou : le pipeline de formation est installé, proxime, et il ne s’éteindra pas au rythme des cycles politiques. C’est de la capacité structurelle, pas un “one-shot”.

La réalité budgétaire : un euro qui en cache d’autres

Dire “1 €” est exact juridiquement, mais incomplet techniquement. Un centre comme l’EFTC, c’est des millions d’euros par an en soutien, simulateurs, carburant, pièces, munitions d’exercice, personnels. Les avions ex-néerlandais n’arrivent pas “nus” : documentation, kits, outillage, et flux logistiques suivent. L’intérêt, c’est l’effet de parc : 18 avions dédiés formation, c’est un coût marginal par heure de vol qui baisse à mesure que la cadence augmente. Et plus on forme, plus on amortit. À terme, l’arrivée des F-35 en Roumanie demandera une pédagogie plus numérique et plus intégrée ; l’EFTC sert aussi de laboratoire de méthodes (gestion data, planification, maintenance prédictive), transférables plus tard au 5e génération.

Les limites et les défis : franchise utile

Tout n’est pas simple. D’abord, la ressource instructeurs est finie ; les meilleurs profils sont très sollicités. Ensuite, l’Ukraine a besoin de mécaniciens et de chefs de piste autant que de pilotes ; il faut donc des filières parallèles solides. Troisièmement, les F-16 MLU restent des plateformes legacy face à des menaces sol-air modernes ; l’entraînement doit insister sur tactiques, guerre électronique et emploi stand-off. Quatrièmement, l’empreinte logistique (carburéacteur, pièces) est lourde en temps de tension d’approvisionnement. Enfin, l’usure : un centre à forte cadence use les cellules ; il faut un plan de potentiel clair, des rechanges, et des marges pour rotations d’entretien majeur. Dire ces limites n’affaiblit pas l’outil ; cela rappelle qu’un hub d’entraînement est une industrie à part entière, avec sa gouvernance, ses arbitrages et ses risques.

Les 18 F-16 ex-néerlandais transférés pour un euro n’écrivent pas seulement une anecdote ; ils fixent une capacité. La Roumanie ancre un centre capable de délivrer des équipages et des techniciens au rythme de la guerre moderne. L’Ukraine y trouve un pipeline durable. Les partenaires, un standard commun. C’est la partie visible d’un choix sobre : plutôt que disperser, concentrer l’effort là où il produit de la compétence exploitable demain matin.

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