
Le GJ-11 Sharp Sword opère depuis Shigatse : capacités, emploi face à l’Inde, rôle avec le J-20S, et essor chinois des UCAV furtifs, chiffres et analyse.
Comprendre en 2 minutes
Des images satellites récentes montrent au moins trois GJ-11 Sharp Sword stationnés plusieurs semaines à Shigatse, base aérienne mixte du Tibet proche de la frontière sino-indienne. Cette présence prolongée suggère une phase d’essais opérationnels avancés, voire une mise en service initiale. Le GJ-11, aile volante furtive, vise la pénétration en profondeur (frappe air-sol, ISR), l’appui de guerre électronique et, à terme, le combat air-air collaboratif. Shigatse, perchée à 3 782 m, offre des conditions « haute altitude » exigeantes, une piste principale de 5 000 m et une infrastructure en expansion. La base héberge déjà des capteurs stratégiques comme le WZ-7 Soaring Dragon, utile pour la désignation d’objectifs au-delà de l’horizon. Le binôme avec le J-20S biplace, pensé pour le pilotage de drones, matérialise un manned-unmanned teaming chinois en rapide maturation. Parallèlement, une variante embarquée du GJ-11 est étudiée pour porte-avions et bâtiments d’assaut, signe d’une intégration interarmées. Sur le plan stratégique, Pékin se dote d’un éventail de UCAV furtifs quand Washington, publiquement, reste discret sur ce segment. Conséquence : une pression durable sur l’avantage aérien indien et un rééquilibrage régional en altitude.
Le déploiement à Shigatse : des essais qui ressemblent à de l’opérationnel
Les clichés commerciaux de l’été 2025 montrent trois GJ-11 Sharp Sword à Shigatse du 6 août au 5 septembre, puis deux exemplaires encore visibles début septembre. Une présence de plusieurs semaines dépasse la simple validation au sol : elle implique des cycles de vol, de maintenance et d’évaluation tactique en environnement réaliste. Les cellules observées présentent une livrée grise standard des plates-formes chinoises, une autre étant protégée par une housse brun-rouge, indice de stockages de courte durée et de rotation des appareils. Le choix de Shigatse n’est pas anodin : la base, très active, est déjà un pôle de drones et accueille une présence chasse continue (famille « Flanker », J-10), ainsi que des aéronefs d’alerte avancée et des hélicoptères. Elle se situe à environ 145 km du Sikkim, zone sensible des accrochages sino-indiens depuis 2020. L’installation de UCAV furtifs à portée directe de ces secteurs suggère l’évaluation de schémas d’emploi réels : pénétration masquée, frappes de précision, brouillage d’illumination radar adverse, collecte ISR à longue persistance. Cette « mise en scène » en altitude réduit les écarts entre laboratoire et ligne de front, et accélère l’appropriation par les unités.
L’infrastructure de Shigatse : altitude extrême, piste de 5 000 m et extension
Shigatse (RKZ/ZURK) cumule trois atouts techniques : une altitude de 3 782 m (12 408 ft), une piste principale en béton de 5 000 m et une piste auxiliaire d’environ 3 000 m construite vers 2017 avec sept postes de stationnement grands porteurs. L’altitude impose des distances de décollage supérieures, des marges de poussée réduites et une gestion thermique rigoureuse ; elle est idéale pour éprouver les profils de mission des drones lourds. Les travaux récents d’extension à l’est (apron élargi, au moins cinq hangars, bâtiments de soutien) confirment une montée en capacité. Historiquement militairisée, l’infrastructure a été ouverte au trafic civil en 2010 après un investissement de 532 millions de yuans, soit environ 69 M€ au cours moyen actuel, ce qui a favorisé le double-usage et la densification des activités. Pour la planification opérationnelle, deux pistes, des aires de trafic larges et des abris dédiés permettent d’alterner vols d’essais, QRA chasse et opérations de drones sans saturation. Cette redondance augmente la résilience face à des frappes de déni. Enfin, l’éloignement des chaînes logistiques indiennes de haute montagne donne un avantage de temps-sur-zone à toute patrouille ISR partant de Shigatse.
La mission du GJ-11 : pénétration, ISR et guerre électronique
Le GJ-11 Sharp Sword est une aile volante furtive de gabarit intermédiaire, optimisée pour la réduction de la SER (surface équivalente radar), l’emport d’armements en soute et l’endurance subsonique. Sa vocation première est la pénétration en profondeur pour frappes air-sol en environnement contesté, complétée par l’ISR stratégique (imagerie, signaux) et des effets de guerre électronique : masquage, leurre, dégradation des liaisons adverses. À Shigatse, ces profils sont crédibles : défense indienne multicouche (Akash, SPYDER, Barak-8, radars de haute altitude) à proximités variables, météo complexe, reliefs générateurs de lobes multiples—un terrain utile pour valider enveloppes de vol et procédures d’approche basse signature. Les itérations observées en 2024-2025 (Malan, Changxing, défilés avec maquettes et prototypes) traduisent une stabilisation de la configuration furtive dévoilée en 2019 et la transition vers des standards de série. Dans un concept d’opérations type, le GJ-11 ouvre la voie, neutralise des capteurs, délivre des munitions guidées, puis tient la bulle ISR pour la bataille d’informations. L’objectif : réduire l’exposition des chasseurs habités et créer des fenêtres d’effet locales.

Le teaming avec le J-20S : un saut capacitaire collaboratif
Le J-20S biplace n’est pas un simple appareil d’entraînement : son deuxième poste prend en charge fusion de données, guerre électronique et contrôle de drones. Dans un schéma de manned-unmanned teaming, un équipage J-20S dirige une meute de UCAV : répartition des rôles (appât, brouilleur, frappeur), gestion de liaisons sécurisées, désignation d’objectifs multi-spectres. Des sujets audiovisuels chinois ont déjà montré des séquences d’interaction J-20/GJ-11. Opérer cela à Shigatse permet de tester la robustesse des liaisons en haute montagne, la latence induite par le relief, et la tenue des antennes network-centric par grand froid, éléments critiques pour un emploi crédible le long de la frontière sino-indienne. À l’échelle doctrinale, l’aptitude à engager plusieurs drones depuis un J-20S crée une économie de moyens : moins d’entrées humaines en zone A2/AD, plus de persistance, saturation ciblée des radars et des batteries sol-air. Côté indien, cela exige une défense échelonnée plus dense, des capteurs passifs supplémentaires et une coordination interarmées resserrée pour éviter l’épuisement de munitions sol-air face à des essaims mixant leurres et vecteurs armés.
La base comme hub ISR : apport du WZ-7 Soaring Dragon
Shigatse héberge en permanence le WZ-7 Soaring Dragon, drone HALE au plan en diamant, conçu pour la reconnaissance et potentiellement la fourniture de données de ciblage à longue distance. Son endurance et son plafond permettent une veille au-delà des crêtes himalayennes et le suivi des mouvements logistiques. Combiné au GJ-11, ce capteur fournit la « vue d’ensemble » pendant que l’UCAV mène des actions furtives dans les vallées. Cette complémentarité capteur-effector matérialise un cycle ISR-Strike raccourci : détection, classification, assignation, frappe, évaluation des dommages, le tout avec un minimum d’exposition humaine. En pratique, la mise en réseau WZ-7/J-20S/GJ-11 favorise la désorganisation de la défense aérienne adverse : brouillage des priorités, saturation des écrans par pistes fragmentées, et tentations de tir prématuré consommant des missiles coûteux. Pour New Delhi, la réponse passe par des capteurs passifs basés sur l’écoute (ELINT/COMINT) et une redondance multi-site afin de reconstituer la situation sans dépendre d’un seul radar. Les exercices à Shigatse valident exactement ce type de maillage, en plaçant des drones stratégiques et tactiques sur une même plateforme.
La variante embarquée : vers l’extension navale du GJ-11
Les indices s’accumulent sur une variante navale du GJ-11 (souvent évoquée comme GJ-11H/GJ-11J/GJ-21) : concepts industriels montrant des ailes pliables et des opérations depuis bâtiments d’assaut, maquettes visibles sur l’aire d’essais de Wuhan ou sur le site de Changxing, et montée en puissance aéronavale avec J-35, J-15T et KJ-600. Cette trajectoire suggère une intégration future sur porte-avions à catapultes et sur navires polyvalents, afin d’offrir ISR pénétrant, guerre électronique et frappes en premier jour d’un conflit en mer de Chine. Pour la logistique, une cellule commune terre/mer réduira les coûts de cycle de vie (mêmes calculateurs, logiciels, capteurs dérivés), bien que l’adaptation aux contraintes pont d’envol (corrosion, catapultes, appontage, crosse, train renforcé) renchérisse le coût unitaire. À l’horizon 2027-2030, l’apparition d’une capacité opérationnelle embarquée—même limitée—créerait une profondeur stratégique maritime nouvelle pour Pékin, avec un relais direct entre groupe aéronaval et théâtre himalayen via relais ISR et constellations de communications.
Les conséquences stratégiques pour l’Inde et la région
La bascule vers des essaims de drones furtifs contrôlés par des chasseurs modernes impose à l’Inde une adaptation rapide. D’un point de vue technique, la défense aérienne devra privilégier : capteurs passifs multipoints, radars basse fréquence (VHF/UHF) pour détecter les ailes volantes, réseaux optiques-IR sur crêtes, et fusion multi-capteurs pour discriminer leurres et vecteurs réels. Côté feu, l’emploi de missiles sol-air à faible coût par coup contre petites SER devient indispensable afin d’éviter l’épuisement de stocks de missiles haut de gamme. À l’échelle opérationnelle, l’IA de triage de pistes, les stocks munitions en altitude et les routes logistiques protégées seront les variables clés ; c’est prosaïque, mais déterminant face à des campagnes d’usure aérienne.
Pour Pékin, l’avantage tient à la densité industrielle : cadence de production, itérations rapides, et empilement de familles (GJ-11, WZ-7, CH-series, grands « flying-wing » observés à Malan en 2025). La pression permanente au-dessus de l’Himalaya, portée par des vecteurs à faible signature, élargit la panoplie coercitive sans franchir les seuils létaux d’emblée. Le message est clair : imposer des faits tactiques accomplis par la présence et la mesure. Washington, publiquement absent du segment UCAV furtif depuis les arrêts de programmes antérieurs, laisse un espace médiatique à Pékin ; il serait naïf d’en déduire une inaction américaine, mais sur la scène visible, la dynamique est chinoise. New Delhi, de son côté, gagnerait à accélérer ses programmes C2 (IACCS), ses radars de haute altitude et ses partenariats capteurs-effets avec la France ou Israël.
Les données marché et l’équation des coûts
Peu d’éléments publics fiables chiffrent le coût unitaire du GJ-11. En proxy, on observe l’investissement dans les infrastructures : l’ouverture civile de Shigatse a mobilisé 532 M CNY (≈ 69 M€) en 2010, tandis que les images récentes confirment des extensions militaires substantielles (nouvelles aires, hangars). Le coût marginal d’un déploiement d’essais de plusieurs semaines comprend le segment sol (abris, liaisons, ECM), la chaîne de mission (stations, chiffrement), et la consommation d’heures de vol pour valider profils et logiciels. Le choix d’un hub mixte optimise les coûts d’accès (carburant, MRO partagé). Sur la base d’expériences occidentales, l’intégration manned-unmanned teaming représente une part significative du budget—les liaisons et la fusion de données valent parfois autant que la cellule. En regard, côté indien, chaque renforcement de défense multicouche en haute montagne coûte cher (transport, densité humaine, munitions à haute valeur). À terme, l’asymétrie « coût d’attaque » vs « coût de défense » pourrait s’inverser si New Delhi n’introduit pas des couches à bas coût (capteurs passifs, munitions C-RAM sol-air peu chères, leurres).
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