
Un A-50U repéré à Taganrog, à 170 km du front : actif rare et crucial pour la surveillance, mais désormais à portée des frappes ukrainiennes.
En résumé
Un A-50U russe – avion de détection lointaine et de conduite des opérations aériennes – a été observé sur la base de Taganrog, à environ 170 km de la ligne de front. Cet appareil, dont il resterait très peu d’exemplaires pleinement opérationnels, est central pour la défense aérienne russe : il repère avions, missiles et drones ukrainiens à grande distance et guide les intercepteurs et les batteries sol-air. Mais Taganrog a déjà été visée par des drones et missiles. La présence d’un AWACS russe aussi près du front augmente la probabilité d’une attaque contre un actif quasiment irremplaçable. Depuis 2023-2024, l’Ukraine a endommagé ou abattu plusieurs A-50U (dont un au-dessus de la Mer d’Azov), réduisant la couverture radar russe. Une perte supplémentaire limiterait encore les rotations, compliquerait la surveillance du sud de l’Ukraine et de la Crimée, et faciliterait les percées de missiles et drones longue portée.
Le placement de l’A-50U à Taganrog : un gain tactique sous forte menace
Un A-50U identifié comme RF-94268 (« Red 41 ») a été repéré entre le 24 et le 28 septembre sur la base de Taganrog, qui abrite l’usine Beriev chargée des modernisations et maintenances. Cette base se situe approximativement à 170 km de la ligne de front, donc à portée de nombreux vecteurs ukrainiens : UAV kamikazes longue endurance, missiles de croisière aériens et terrestres. Les images et analyses open source montrent que Taganrog a déjà été visée à plusieurs reprises, notamment contre des hangars liés aux programmes A-50/A-50U, ce qui confirme la vulnérabilité du site. Pour Moscou, rapprocher l’avion améliore la géométrie de détection sur le sud de l’Ukraine et du territoire russe limitrophe. Mais ce gain s’échange contre un risque élevé : au sol, l’appareil est exposé, et en vol, son profil radar et sa valeur opérationnelle en font une priorité. À coût catalogue estimé autour de 330 M$ – soit environ 307 M€ au taux courant – la perte d’un tel système ne se remplace pas rapidement dans un contexte industriel sous tensions et sous sanctions. La décision de l’engager si près du front traduit un besoin pressant de restaurer une bulle de détection et de coordination, quitte à accepter un ratio risque/bénéfice défavorable en cas de frappe réussie contre l’appareil ou ses infrastructures de soutien.
La flotte A-50U réduite : des pertes confirmées et un tempo d’emploi contraint
Depuis février 2023, les A-50/A-50U sont devenus des cibles privilégiées. Un appareil a été endommagé à Machulishchy (Biélorussie) lors d’une attaque revendiquée par l’opposition biélorusse ; Minsk a reconnu l’incident et renvoyé l’avion en Russie pour réparations. Le 14 janvier 2024, un A-50U a été abattu au-dessus de la Mer d’Azov ; des sources ouvertes et des responsables occidentaux ont indiqué l’emploi d’un système Patriot. Le 23 février 2024, un second A-50U aurait été détruit dans la même zone, cette fois-ci par un système S-200 remis en service par l’Ukraine. À ces pertes s’ajoutent des opérations ukrainiennes contre des bases et installations liées au soutien des A-50, notamment des dommages observés en mars 2024 sur des hangars à Taganrog, et des frappes coordonnées en juin 2025 (opération dite « Spider/Cobweb ») susceptibles d’avoir touché des cellules supplémentaires. Au total, plusieurs sources estiment que la flotte réellement « volable » s’est contractée à une poignée d’exemplaires, ce qui force Moscou à disperser et économiser ces plateformes, parfois jusqu’en Russie septentrionale ou extrême-orientale. Dans ces conditions, tenir une couverture quasi permanente exige au minimum trois avions (un en patrouille, un en relève, un en maintenance/repos), ce qui devient difficile avec un parc amputé. Chaque sortie use mécaniquement la ressource cellule/radar et accroît la pression logistique (équipages, pièces, antennes Shmel-M), d’où l’intérêt de rotations courtes mais proches du front… qui augmentent paradoxalement l’exposition aux frappes.

Les capacités techniques de l’A-50U : un radar aéroporté pivot de la défense aérienne
L’A-50U est une évolution profonde de la cellule d’Il-76 avec modernisation avionique, ergonomie cabine et, surtout, mise à niveau du complexe radar Shmel-M. Les plages de détection publiquement disponibles varient selon la taille/altitude de la cible et l’angle d’illumination : jusqu’à 300 à 400 km pour un aéronef de type chasseur, davantage pour un appareil plus gros ; la détection d’événements énergétiques (allumages de missiles) et d’armements à faible surface équivalente radar reste possible à de longues distances, au prix de contraintes sur le traitement du signal et la cinématique de la piste. Des sources ukrainiennes évoquent des capacités de détection de signatures de missiles et de planeurs d’attaque jusqu’à environ 600 km ; dans tous les cas, l’intérêt militaire du système tient autant à la détection qu’à la fusion/corrélation des données et à la fonction de « contrôleur aéroporté » pour intercepteurs et systèmes sol-air à longue portée (S-300/400), avec liaisons de données et gestion de priorités d’engagement. La configuration type embarque jusqu’à une quinzaine de personnels mission (opérateurs radar, guerre électronique, contrôle). Sur le plan énergétique, le radar impose une consommation et une gestion thermique significatives, ce qui limite la durée de station, généralement de l’ordre de quelques heures par cycle avant ravitaillement ou relève. Cette architecture procure un avantage clair : anticiper les tirs d’ATACMS, Storm Shadow/SCALP-EG, JDAM-ER, et trajectoires de drones ukrainiens pénétrants. Mais elle comporte des failles : saturation par attaques multi-axes, cibles à faible RCS en vol rasant, brouillage/leurres, et dépendance à des bases fixes connues.
Les conséquences d’une perte supplémentaire : la Crimée et le sud russe plus perméables
Si l’Ukraine parvenait à détruire l’A-50U basé à Taganrog, l’effet dépasserait la seule réduction arithmétique de flotte. D’abord, la couverture de surveillance sur l’axe mer d’Azov – littoraux de Krasnodar – voies d’accès vers la Crimée serait moins dense, surtout lors des créneaux de relève. Les fenêtres opportunes pour des salves combinant drones bas coût, missiles à longue portée et leurres augmenteraient, ce qui favoriserait le percement des couches S-300/400 lorsque celles-ci ne sont pas précisément « guidées » par un AWACS russe. Ensuite, la contrainte de préserver les appareils survivants pousserait Moscou à rallonger les axes de patrouille (moins efficaces) ou à reculer les orbits (perte de portée sur cibles basses). À court terme, cela se traduirait par davantage de frappes réussies contre dépôts, radars, sites navals et ponts logistiques, notamment en bordure de mer Noire et sur les aérodromes du sud. À moyen terme, la raréfaction de la flotte imposerait des arbitrages : prioriser la protection des bombardiers stratégiques (Tu-95/Tu-22M3) lors des campagnes de tirs, au détriment de la veille aérienne « générale ». Les opérations de juin 2025 ont déjà montré qu’une campagne de drones bien planifiée pouvait endommager une part non négligeable de l’aviation basée loin du front ; l’effet psychologique et la surcharge des équipes techniques s’additionnent à l’usure des cellules survivantes. Dans ce contexte, un A-50U en moins amplifierait un cercle vicieux : moins de capteurs aéroportés, plus de consommation des radars au sol, davantage d’opportunités pour les frappes en profondeur ukrainiennes.
La réponse russe : l’option A-100, la dispersion et les limites industrielles
Côté russe, trois leviers existent : relancer la cadence de rétrofit A-50→A-50U, accélérer l’A-100, et disperser les actifs. Le rétrofit est ralenti par la disponibilité des ensembles radar et d’électronique. L’A-100 « Premier » progresse en essais mais reste au stade de prototype ; l’entrée en service opérationnelle n’a cessé d’être reportée, sous l’effet des sanctions technologiques (composants électroniques) et des priorités budgétaires. Même si la VKS recevait des appareils de présérie, l’absorption par les unités, la formation d’équipages et la montée en disponibilité prendraient des années. La dispersion des A-50U vers le nord et l’est réduit l’exposition… mais réduit aussi la qualité de la couverture sur le sud si les orbits s’éloignent. Quant aux bases proches de l’Ukraine, elles doivent être durcies : filets de camouflage, abris durcis, MANTIS anti-drones, échelons de tir multicouches. Or, Taganrog a déjà subi des dégâts sur des hangars ; l’adversaire connaît donc la topographie et les couloirs d’approche. En bref, la Russie peut limiter le risque, pas l’éliminer, tant que l’Ukraine conserve des capacités de frappe lointaine et un flux continu d’UAV d’attaque à bas coût.
Les enjeux stratégiques : un actif critique face à une logique d’attrition
Au-delà de la tactique, la présence d’un A-50U à Taganrog illustre une tension structurelle : la VKS a besoin d’yeux aéroportés pour compenser les angles morts des radars au sol, mais elle ne dispose plus d’une réserve suffisante pour absorber les pertes. L’Ukraine, elle, pousse une logique d’attrition : dégrader les rares capteurs stratégiques russes afin d’ouvrir des corridors aux drones ukrainiens et aux missiles. La balance coûts/effets est asymétrique : un UAV à quelques dizaines de milliers d’euros peut immobiliser, voire détruire, un actif de plusieurs centaines de millions, sans compter la valeur des spécialistes formés. Dans cette équation, l’argument consistant à stationner un AWACS russe plus près du front pour « mieux voir » se heurte à un fait simple : plus près signifie plus vulnérable. Tant que la défense rapprochée anti-drones des bases russes restera perfectible et que les orbits resteront identifiables, les risques de neutralisation persisteront. Pour le lecteur, l’élément clé à retenir est froid : au rythme actuel, chaque A-50U perdu creuse un déficit capacitaire que la Russie ne sait pas combler rapidement, et chaque cycle de réparation/retour en ligne consomme un capital industriel déjà mis sous pression.
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