Le Pérou se tourne vers 12 F-16 Block 70 et s’éloigne des avions russes

F-16 Perou

Washington notifie une vente FMS d’environ 3,42 Md $ de F-16 Block 70 au Pérou : 12 appareils, radars APG-83 AESA, guerre électronique Viper Shield, missiles AMRAAM/AIM-9X.

En résumé

Washington a notifié une FMS potentielle au Pérou pour 12 F-16 Block 70 (10 F-16C et 2 F-16D) et un premier lot d’armements air-air. Montant indicatif : 3,42 Md $ (≈ 3,15–3,25 Md € selon le taux). Le package inclut APG-83 AESA, Viper Shield, IRST et pods de désignation Litening. L’offre s’inscrit face à des flottes anciennes (MiG-29, Su-25, Mirage 2000, A-37) difficiles à soutenir, et à l’effondrement des exportations russes. Le F-16 placerait la Fuerza Aérea del Perú dans l’écosystème OTAN (munitions, soutien, formation) tout en restant plus abordable et disponible que des alternatives comme les Rafale F4, Gripen E/F ou KF-21. La cible de long terme est 24 avions : l’acquisition pourrait se faire en deux tranches, avec priorités : police du ciel, contrôle des frontières, lutte anti-narcotiques, puis air-sol de précision.

L’accord FMS notifié : contenu, calendrier, coûts et limites

La DSCA a transmis au Congrès, le 15 septembre 2025, la notification « Peru – F-16 Aircraft ». Le périmètre mentionne 10 F-16C et 2 F-16D Block 70 pour un total estimé de 3,42 Md $. Converti avec un taux de 0,92–0,95, on obtient 3,15–3,25 Md €. Le lot initial d’armements comprend 12 AIM-120C-8 AMRAAM et 12 AIM-9X Block II : c’est un dotation de départ pour la qualification et la protection air-air, l’armement air-sol étant annoncé « à ajouter ultérieurement » (JDAM/LGB/JSOW potentiels selon arbitrages). Côté senseurs, l’AN/APG-83 AESA apporte une portée supérieure, un suivi multipistes, des modes SAR et des performances robustes en environnement brouillé. L’IRST élargit la détection discrète hors-radar, utile contre cibles à faible signature. L’AN/ALQ-254 Viper Shield (ou équivalent) fournit alerte, brouillage et techniques DRFM modernes. Les pods AN/AAQ-28 Litening assurent identification et désignation de cibles au sol. Le contrat FMS inclut normalement formation, pièces, outillage, soutien logistique initial et assistance technique.

Deux réalités à garder en tête : (1) une notification FMS n’est ni un contrat ferme ni un prix définitif ; le contenu et la valeur peuvent évoluer à la négociation (offsets, cadence, options d’armements). (2) la ligne Lockheed Martin Greenville est chargée par les commandes Block 70/72 et les rétrofits F-16V ; les premiers livrables au Pérou dépendront de ce carnet et des jalons de financement péruviens. En planning réaliste, signature → mise en vigueur → lancement industriel → formation (pilotes/techs) → livraisons initiales : 36–48 mois sont usuels pour une première flotte, avec accélération si des créneaux sont libérés. Pour limiter le coût à l’heure de vol, la sélection d’un moteur, d’une chaîne de rechanges mutualisée et d’une politique de maintenance conditionnelle seront déterminants.

L’état de la flotte péruvienne : vieillissement, disponibilité et besoins

La Fuerza Aérea del Perú exploite encore des MiG-29 (≈ 8), des Su-25 (≈ 8), des Mirage 2000 (≈ 11) et des Cessna A-37 (≈ 20), d’après les compilations 2025 du secteur. Ce parc mélange des cellules livrées milieu des années 1980 (Mirage 2000) et milieu des années 1990 (MiG-29/Su-25). Les MiG-29SM-P ont reçu des améliorations radar/avionique et un perche de ravitaillement fixe ; les Su-25 ont suivi un programme d’extension de potentiel. Dans les faits, le taux de disponibilité des matériels d’origine russe a chuté, du fait de l’accès aux pièces, de l’obsolescence avionique, des coûts de maintien en condition et de la concurrence des priorités industrielles russes. Les A-37, nombreux mais très anciens, sont limités en charge utile, capteurs et survivabilité. Les Mirage 2000 péruviens, parmi les premiers produits, restent sains en cellule mais insuffisants sans modernisation lourde (radar, liaisons, guerre électronique, armements). Le besoin opérationnel se répartit en trois axes : police du ciel (disponibilité, datalink, radar fiable), interception/air-air (missiles BVR AMRAAM, courte portée AIM-9X), air-sol de précision (pod, munitions guidées). L’avion devra aussi tenir les opérations à haute altitude sur Andes et s’intégrer aux missions anti-narcotiques (surveillance, interception à moyenne altitude, coordination avec forces terrestres). Enfin, la logistique pèse : un inventaire hétérogène coûte cher ; standardiser autour d’une plateforme multirôle augmente le taux de dispo et abaisse la facture annuelle, tout en simplifiant la formation initiale et continue. C’est le cœur de l’argument « remplacement par blocs » : retirer progressivement A-37/Su-25, réduire la flotte MiG-29, et tenir une transition responsable sur Mirage 2000 jusqu’à livraison du deuxième lot de F-16.

La bascule géopolitique : sortie du matériel russe, interopérabilité et faits

Le choix du F-16 Block 70 traduit une réorientation stratégique. Les sanctions, l’absorption de la production russe par ses besoins internes et les difficultés d’accès aux sous-composants ont fait chuter les exportations d’armement de Moscou. Les séries SIPRI indiquent une baisse de moitié (ou davantage selon les périodes quinquennales) des exportations russes, et un resserrement du nombre de clients actifs (de 31 en 2019 à 12 en 2023). Dans le même temps, la France a dépassé la Russie au rang de deuxième exportateur mondial. Pour Lima, maintenir une dépendance aux chaînes logistiques russes revient à accepter des délais, des coûts cachés et une incertitude sur la disponibilité. À l’inverse, intégrer l’écosystème OTAN apporte : interopérabilité (liaisons de données, procédures, munitions), soutien et formation mutualisés, réactivité industrielle. La géographie sud-américaine compte désormais Chili (depuis plus de vingt ans) et Argentine (récemment) comme opérateurs F-16 ; le Pérou deviendrait le quatrième, ce qui ouvre des coopérations régionales (exercices, logistique, mutualisation de formation et de simulateurs). Dire cela sans détour : rester captif d’un fournisseur qui peine à produire et à livrer expose la défense péruvienne à des pannes capacitaires. Ce n’est pas une question d’idéologie, mais de disponibilité mesurable d’appareils, de pièces et d’équipes d’assistance. L’expérience internationale récente montre que les flottes « or-américaines » (F-16, F-15, F-18 modernisés) conservent des taux de mission supérieurs, à condition d’un financement rigoureux du MCO et d’une gouvernance des stocks en juste-à-temps.

F-16 Perou

La comparaison capacitaire : F-16 Block 70 face à Rafale F4, Gripen E/F et KF-21

Côté sensoriel, l’APG-83 AESA rapproche le F-16 de standards modernes (modes SAR, suivi air-air multi-cibles, résistance au brouillage). Rafale F4 propose RBE2 AESA, SPECTRA, MICA NG/AMRAAM-équivalents et des armes air-sol très abouties (AASM, SCALP) mais avec un coût d’acquisition et de possession traditionnellement plus élevé. Gripen E/F offre un AESA Selex ES, IRST Skyward-G, une architecture ouverte et des coûts horaires réputés contenus, avec l’appui industriel Embraer au Brésil qui peut intéresser le Pérou pour des offsets régionaux. Le KF-21 est prometteur (AESA indigène, armements sud-coréens/OTAN), mais encore en montée en puissance, donc incertitudes sur les délais et la supply chain. Le F-16 Block 70 marque des points par : disponibilité industrielle (Greenville), chaîne logistique mondiale, large parc d’utilisateurs (près de 25 pays), et compatibilité immédiate avec AMRAAM/AIM-9X déjà notifiés. Sur l’air-sol, la maturité des kits JDAM/LGB et des pods Litening réduit le temps de montée à la capacité de frappe de précision. La formation est standardisée (syllabus USAF/contractors), les simulateurs sont largement disponibles. En coût global, l’arbitrage dépendra des offsets, de la localisation de maintenance (intermédiaire ou lourde), et de la politique de stocks. Un point lucide : le F-16 n’est pas « le meilleur partout », mais c’est le plus soutenable pour une armée de l’air qui cherche une remise à niveau rapide sans prendre de risque industriel excessif.

Les effets opérationnels attendus : missions, dotations et montée en puissance

À court terme, l’arrivée d’un premier lot de 12 appareils permet de sécuriser la police du ciel (QRA), avec des couples AMRAAM/AIM-9X adaptés à l’interception. La disponibilité du mode SAR de l’APG-83 et des pods Litening autorise rapidement des missions air-sol de précision en soutien des forces terrestres : frappes guidées laser ou INS/GPS, depuis 4 000–8 000 m selon la menace sol-air. Pour le contrôle des frontières et la lutte anti-narcotiques, l’IRST et les liaisons de données facilitent l’interception coopérative de petits avions rapides et de trafics sur axes amazoniens. La cible finale annoncée de 24 chasseurs donnerait à la FAP deux escadrons opérationnels : l’un orienté air-air/QRA, l’autre multirôle air-sol. En entraînement, compter 12–18 mois pour générer la première dizaine de pilotes OTU-niveau et chefs patrouille, à cadence raisonnable. Côté MCO, passer d’un mix MiG-29/Su-25/Mirage 2000/A-37 à un unique standard F-16 réduit le nombre de références et facilite l’implémentation d’un stock tournant. En parallèle, la sortie progressive des A-37 et la consolidation des missions d’appui au profit du F-16 nécessitent un cadre ROE strict et un investissement dans les simulateurs (procédures, tir, rejoin, panne en vol). Enfin, l’acquisition d’armements air-sol devra suivre : kits JDAM GBU-31/32, GBU-12/16, puis stand-off (JSOW/JASSM si politique autorisée). D’un point de vue budgétaire, l’effort initial de 3,15–3,25 Md € doit s’accompagner d’une ligne MCO pluriannuelle > 6–7 % du capital investi/an pour maintenir un taux de dispo supérieur à 70 %.

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