
L’armée russe concentre ses moyens sur l’Ukraine, délaissant l’entretien de ses avions livrés à l’Afrique, ce qui nuit à sa crédibilité industrielle.
Le conflit en Ukraine, entré dans sa quatrième année, exerce une pression croissante sur les ressources logistiques, industrielles et humaines de la Fédération de Russie. Cette situation a des répercussions tangibles sur la capacité de Moscou à honorer ses engagements internationaux en matière de défense, en particulier en Afrique. Plusieurs avions de chasse russes récemment livrés à des partenaires africains, dont le Mali, se retrouvent aujourd’hui cloués au sol, faute de maintenance, de pièces détachées ou d’assistance technique. Ce phénomène n’est pas marginal : il affecte directement la crédibilité de la Russie comme fournisseur d’armements fiables, dans un marché mondial devenu plus concurrentiel que jamais.
À court terme, l’armée de l’air russe a réquisitionné pour son propre usage la majorité des moyens de production, de réparation et de soutien technique, au détriment des clients étrangers. Le soutien logistique promis dans le cadre des contrats semble avoir été partiellement ou totalement suspendu. Cette perte de disponibilité opérationnelle touche notamment des MiG-29, Su-25 et hélicoptères d’attaque livrés à des pays partenaires en 2021 et 2022.
Cette dégradation du service après-vente militaire russe intervient dans un contexte où la Russie cherche à consolider ses liens sécuritaires avec des États africains pour compenser son isolement diplomatique. Or, l’incapacité à garantir le fonctionnement de ses propres équipements remet en cause cette stratégie et ouvre un espace à d’autres fournisseurs comme la Chine, la Turquie ou l’Iran.

Une réallocation massive des ressources au profit du front ukrainien
Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, la Russie a redirigé une grande partie de ses capacités industrielles vers la production militaire. Cette stratégie de priorisation affecte directement la maintenance des avions de chasse exportés, en particulier ceux livrés en Afrique ou en Asie centrale.
Selon les estimations de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), la production mensuelle de munitions et de pièces détachées pour les Su-25, Su-30 et MiG-29 a été multipliée par deux entre 2022 et 2024. Mais ces volumes sont absorbés presque exclusivement par les besoins de l’armée de l’air russe, qui doit faire face à des pertes élevées en matériel. En 2023, plus de 90 avions de combat russes ont été détruits ou gravement endommagés en Ukraine, selon les services de renseignement occidentaux.
L’industrie aéronautique russe, notamment les usines de Sukhoi, MiG et UAC, est à saturation. Les capacités de modernisation ou d’entretien prévues pour les clients étrangers sont régulièrement reportées. Les délais pour des inspections majeures (type “Overhaul”) sur des Su-25 ou MiG-29 dépassent 24 mois, contre 8 à 12 mois en période normale. Les pièces critiques, comme les turbines Klimov RD-33 ou les optiques IRST, sont désormais prioritairement allouées aux unités engagées en Ukraine.
Dans ce contexte, les équipes techniques dépêchées dans les pays clients ne sont plus en mesure de suivre les programmes de soutien logistique initialement convenus. Le manque de techniciens russes sur place se conjugue à des sanctions internationales limitant les flux d’équipements sensibles. La conséquence immédiate est une indisponibilité croissante des flottes étrangères alimentées par Moscou.
Le cas du Mali : des avions de chasse russes inutilisables en moins d’un an
Le Mali illustre de manière frappante les effets secondaires de la guerre en Ukraine sur les livraisons d’armement russes. Entre 2021 et 2023, Bamako a reçu plusieurs L-39 Albatros modernisés, deux Su-25, ainsi que des hélicoptères Mi-24P et Mi-8AMTSh. Ces appareils ont été présentés par les autorités maliennes comme un pilier de la souveraineté nationale, en remplacement partiel du soutien militaire français.
Or, dès fin 2024, plusieurs rapports indiquaient que la majorité de ces avions étaient cloués au sol. En cause : une absence quasi-totale de pièces détachées, de soutien logiciel, et de techniciens russes sur place. À cela s’ajoutent des pannes moteurs non réparées et des défaillances sur les systèmes de navigation ou de visée. Selon des sources militaires locales, seuls deux appareils sur plus de dix livrés seraient encore en état de vol au premier semestre 2025.
La dépendance extrême à la Russie pour la maintenance et les réparations est un facteur aggravant. Contrairement aux contrats occidentaux, les livraisons russes n’intègrent souvent ni stock de pièces suffisant, ni formation complète des mécaniciens locaux. Cela rend les forces aériennes partenaires vulnérables à la moindre rupture logistique.
Le coût estimé de ces livraisons s’élève à plus de 150 millions d’euros, financés pour partie par des ressources minières ou des accords opaques de coopération sécuritaire. L’impact diplomatique est majeur : la Russie perd en crédibilité comme partenaire stratégique, alors que d’autres pays comme la Turquie proposent désormais des drones ou avions d’entraînement à maintenance simplifiée.

Une réputation de fournisseur fiable gravement atteinte
L’impact de cette situation dépasse le seul cas du Mali. Plusieurs autres pays africains, notamment le Soudan, la Centrafrique et le Burkina Faso, font état de difficultés similaires pour faire voler les avions de chasse russes livrés entre 2020 et 2023. Le retrait progressif des techniciens russes, lié à la guerre en Ukraine mais aussi aux risques sécuritaires sur le continent, rend les flottes quasi inopérantes.
Cette dégradation de la fiabilité opérationnelle touche un marché stratégique pour Moscou. Avant 2022, la Russie assurait plus de 40 % des exportations d’armes vers l’Afrique, avec des contrats en hausse. Aujourd’hui, les volumes chutent. Le SIPRI estime que les exportations d’armement russe vers l’Afrique ont baissé de 44 % entre 2019 et 2024.
Dans un secteur où la disponibilité réelle des équipements compte plus que leur sophistication, ce recul est inquiétant. Les avions russes sont souvent choisis pour leur coût modéré – un Su-25 modernisé valant entre 11 et 13 millions d’euros, contre 40 millions pour un F-16 d’occasion –, mais cette attractivité est annulée si le taux de disponibilité tombe en dessous de 30 %.
Les concurrents prennent rapidement position. Baykar, en Turquie, multiplie les livraisons de drones Bayraktar TB2 à maintenance simplifiée. La Chine développe des avions d’entraînement supersoniques L-15 à destination de l’Afrique subsaharienne, avec un soutien logistique régional plus solide. Même l’Iran propose désormais des drones tactiques à faible coût mais dotés d’un soutien intégré.
La Russie perd donc non seulement des marchés, mais aussi un levier stratégique sur le continent. La logique de présence sécuritaire, incarnée par le groupe Wagner puis ses successeurs, est affaiblie si les moyens fournis sont inopérants à court terme.
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