
Des pays européens non dotés du F‑35 veulent héberger maintenance et réparations du chasseur furtif pour renforcer interopérabilité et résilience OTAN.
Lors du Royal International Air Tattoo 2025, Lockheed Martin a confirmé que plusieurs pays membres de l’OTAN n’ayant pas commandé le F‑35 ont manifesté leur intérêt pour accueillir des installations de maintenance sur leur territoire. Objectif : permettre à un F‑35 allié d’atterrir, de recevoir un appui logistique ou technique local, et de repartir immédiatement opérationnel. Cette initiative vise à étendre les capacités de résilience de l’alliance atlantique, en offrant davantage de points de réparation et de reconstitution hors des bases principales.
En parallèle, Lockheed renforce ses investissements industriels en Europe pour augmenter la production de missiles Patriot PAC-3, développer des partenariats avec des fournisseurs locaux, et réduire les délais entre définition de besoin, prototypage et mise en production. Enfin, des tests récents ont démontré que le F‑35 peut transmettre des données tactiques en temps réel à des chasseurs plus anciens comme le F‑16, en utilisant des équipements de liaison avancée tels que le Sniper Pod.
Des bases F‑35 chez les non-opérateurs : une stratégie de continuité opérationnelle
Des pays européens membres de l’OTAN, sans F‑35 dans leur flotte, souhaitent néanmoins accueillir sur leur sol des installations techniques dédiées à l’appui et à la maintenance de ces chasseurs furtifs. Cette information a été partagée par Michael Williamson, président de Lockheed Martin International, lors du Royal International Air Tattoo (RIAT) de 2025.
La demande n’est pas anecdotique. Elle répond à une logique d’interopérabilité renforcée au sein de l’alliance, mais surtout à un besoin opérationnel de résilience tactique. Concrètement, cela signifie qu’un F‑35 engagé dans une opération sur le flanc Est de l’OTAN — par exemple en Pologne ou dans les pays baltes — pourrait se dérouter vers une base d’un État voisin non-opérateur pour un ravitaillement, une réparation rapide ou un rechargement, sans dépendre des hubs habituels plus éloignés.
Cette configuration offrirait plusieurs avantages :
- Réduction des délais de remise en condition d’un appareil endommagé,
- Diminution de la vulnérabilité logistique, en diversifiant les points de soutien,
- Renforcement de la cohésion OTAN, en impliquant davantage de pays dans le soutien opérationnel.
Cela suppose cependant des investissements lourds : hangars, pièces de rechange certifiées, personnels formés aux standards Lockheed, plateformes de test et outils de diagnostic adaptés aux systèmes du F‑35. Le coût d’une telle infrastructure dépasse généralement les 70 millions d’euros pour une base intermédiaire dotée de capacité partielle de MRO (maintenance, réparation, opérations).
Mais les pays intéressés y voient un double intérêt : participer directement à la posture collective OTAN, et préparer leur écosystème industriel à l’accueil potentiel de futurs programmes de 5ᵉ ou 6ᵉ génération.
Transmission de données entre avions OTAN : la passerelle F‑35/F‑16
Au-delà des plateformes physiques, Lockheed Martin a présenté lors du même événement les résultats d’exercices récents démontrant la capacité d’un F‑35 à transmettre des données tactiques vers des avions plus anciens, notamment le F‑16.
Cette communication s’appuie sur le Sniper Advanced Targeting Pod, développé pour améliorer la liaison entre avions et unités au sol. Grâce à ce système, un F‑35 peut transmettre :
- Données de ciblage en temps réel (coordonnées GPS, signature radar, priorisation),
- Instructions de mission (ordre d’engagement, itinéraire, assignation de zone),
- Éléments de guerre électronique, permettant à un autre avion de réagir à des brouillages détectés par le F‑35.
Ces échanges se font via des réseaux cryptés et résistants au brouillage, utilisant le protocole MADL (Multifunction Advanced Data Link) côté F‑35, et un format compatible via passerelle côté F‑16. L’intérêt est majeur : les appareils de génération 4,5 comme le F‑16, très présents dans l’OTAN, peuvent désormais être intégrés dans la chaîne décisionnelle rapide, sans nécessiter de mise à jour lourde du matériel embarqué.
Pour les forces aériennes, cette compatibilité offre un prolongement opérationnel de leur flotte existante. Un escadron de F‑16 peut agir en binôme tactique avec un F‑35 en tête de réseau, qui joue le rôle de capteur avancé et relai tactique. Cela évite de reléguer les avions plus anciens à un simple rôle secondaire, tout en maintenant l’intégrité du réseau de commandement et de contrôle.

Vers une transformation du modèle industriel de Lockheed en Europe
Williamson a aussi insisté sur l’évolution nécessaire des processus industriels de défense. L’ancien modèle — plusieurs années pour définir un besoin, plusieurs autres pour développer un prototype, puis une production de masse — n’est plus adapté aux tensions actuelles. Le président de Lockheed Martin International a évoqué une volonté forte de raccourcir drastiquement les cycles de développement.
Pour ce faire, Lockheed a cartographié des fournisseurs dans 70 pays, y compris des sociétés non issues du domaine de la défense. L’objectif : repérer des acteurs industriels agiles, capables d’intégrer des technologies duales (cyber, IA, communications) dans des processus de fabrication militaire. Ce maillage permettrait aussi de limiter les effets de saturation ou de pénurie constatés depuis la crise COVID-19 et la guerre en Ukraine.
Sur la partie missile, Lockheed a augmenté la production des PAC‑3 MSE de plus de 30 %, avec un objectif à terme de doublement de la cadence. Ces missiles sont cruciaux pour les batteries Patriot utilisées notamment en Pologne, Allemagne et Roumanie. Leurs composants électroniques et systèmes de propulsion imposent une chaîne d’approvisionnement diversifiée, aujourd’hui fragilisée.
Cette stratégie vise à rendre le groupe plus réactif et flexible, tout en favorisant l’implantation locale, en particulier en Europe. Plusieurs pays — dont la Roumanie et la Slovaquie — ont été approchés pour accueillir des capacités industrielles.
Un tournant stratégique pour l’OTAN et les non-opérateurs
Ce que révèle cet ensemble d’annonces, c’est l’apparition d’un nouveau rôle pour les pays européens non-opérateurs du F‑35. Ils deviennent acteurs logistiques d’une architecture aérienne intégrée. Cette posture n’est pas seulement symbolique. Elle s’accompagne de responsabilités techniques, industrielles et diplomatiques.
En s’insérant dans la chaîne de maintenance des F‑35, ces États renforcent leur crédibilité militaire, tout en préparant une transition industrielle vers les futures générations de systèmes de combat aériens. Pour les nations qui n’ont pas encore investi dans des chasseurs furtifs, il s’agit d’un accès indirect à une technologie clé, via la logistique et les communications interopérables.
Cela soulève toutefois plusieurs défis :
- Souveraineté technologique partielle, puisque l’expertise reste contrôlée par Lockheed Martin.
- Dépendance aux standards américains dans l’architecture de communication.
- Risque de fragmentation industrielle si les investissements ne sont pas coordonnés à l’échelle européenne.
Mais dans un contexte de menaces croissantes sur le flanc Est de l’OTAN, ces choix peuvent apparaître comme des solutions pragmatiques, permettant d’améliorer l’efficacité du dispositif allié sans attendre l’entrée en service du programme FCAS, prévu au plus tôt pour 2040.
Avion-Chasse.fr est un site d’information indépendant.