Le programme britannique du F-35 sévèrement critiqué pour ses erreurs d’économies

F-35B RAF

Un rapport parlementaire foudroie le programme F-35 britannique : manque de munitions stand-off, retards, pénurie de personnel et coût total réévalué à 57 milliards de livres.

En résumé

Le dernier rapport du Public Accounts Committee (PAC) met en lumière les graves lacunes du programme F-35 du Ministry of Defence (MoD) britannique. Malgré la modernité technique de l’avion, des années de coupes budgétaires ont compromis sa capacité opérationnelle. La version B (décollage court et appontage) demeure dépourvue de missiles « stand-off » — retardant toute capacité de frappe à distance sûre jusqu’au début des années 2030. Le MoD manque de techniciens et d’ingénieurs spécialisés, ce qui freine la disponibilité des appareils. Le coût du cycle de vie du programme a explosé : ce qui avait été évalué à 18,4 milliards de livres pour 48 avions atteint désormais 57 milliards pour 138 appareils, sans comptabiliser le carburant, le personnel ni l’infrastructure. Le rapport plaide pour un réexamen urgent des choix budgétaires et la mise en cohérence entre ambitions stratégiques et moyens réels.

Le contexte et les enjeux du programme F-35 britannique

Le Royaume-Uni a choisi de s’équiper du F-35 pour moderniser sa flotte aérienne et navale. L’avion est conçu pour fournir une capacité furtive, des systèmes de détection avancés et une intégration dans des opérations interarmées. Le MoD envisage d’acquérir 138 appareils au total, mélangeant la version « B » pour les capacités embarquées sur porte-avions et la version « A » plus classique, notamment pour la mission nucléaire de l’OTAN.

Toutefois, le rapport du PAC révèle que ces ambitions se heurtent à des choix budgétaires dans la durée, où des économies à court terme ont sapé les fondations du programme. Le résultat : un appareil potentiellement de premier rang, mais dont le rendement réel est sérieusement remis en cause.

Les carences critiques identifiées par le rapport

Un déficit de munitions stand-off

La critique la plus spectaculaire concerne l’absence de capacité de frappe à distance. Le F-35B britannique ne dispose pour l’heure que de bombes guidées, comme la Paveway IV, peu adaptées à des frappes contre des cibles protégées par des défenses anti-aériennes modernes.

Le missile conçu pour pallier ce déficit, SPEAR 3, souffre de retards : son intégration sur le F-35 est repoussée au début des années 2030.

En attendant, le Royaume-Uni évoque l’achat de Small Diameter Bomb II (SDB II / StormBreaker) comme solution transitoire, mais le financement n’a pas encore été apporté.

L’absence de munitions stand-off compromet sérieusement la pertinence du F-35 britannique dans un environnement contesté où survivre à la défense aérienne adverse dépend d’attaques à distance.

Une pénurie de personnel qualifié

Le rapport pointe un problème structurel : le MoD n’a pas correctement évalué le nombre d’ingénieurs, techniciens, cyber-spécialistes, pilotes et instructeurs nécessaires pour soutenir une flotte F-35.

Pour corriger le tir, 168 postes supplémentaires — soit environ +20 % — sont prévus, mais leur pourvoyure prendra plusieurs années. En 2025, seuls 5 des 16 postes d’instructeurs vol étaient pourvus.

Cette insuffisance de personnel entraîne une disponibilité réduite des avions. Le rapport indique qu’en 2024, la flotte britannique a atteint seulement un tiers des objectifs de missions planifiées.

L’impact sur l’efficacité opérationnelle est majeur : un manque de techniciens retarde les maintenances, limite les rotations des appareils et compromet la réactivité en cas de crise.

Des infrastructures négligées

La base principale du F-35, RAF Marham, est également pointée du doigt. Le rapport décrit des logements jugés « dégradés » : absence d’eau chaude, accès insuffisant aux transports en commun, conditions d’habitation indignes pour des personnels mobilisés sur un programme stratégique.

L’amélioration de ces infrastructures est planifiée… pour 2034. Une échéance jugée trop lointaine par le comité, qui l’estime incompatible avec les besoins de recrutement et de rétention du personnel.

De même, des installations vitales comme la « Aircraft Signature Assessment Facility », indispensable pour évaluer la furtivité du F-35, ont vu leur construction retardée pour gagner quelques millions de livres — un choix jugé court-termiste.

Le coût global du programme : une facture qui s’envole

À l’origine, en 2013, le MoD estimait le coût pour les 48 premiers appareils à 18,4 milliards de livres.

Avec l’extension à 138 avions et un horizon de service repoussé à 2069, le coût de cycle de vie a été réévalué à 57 milliards de livres.

Pourtant, ce montant n’inclut pas le carburant, les salaires du personnel, l’entretien courant, l’infrastructure, ni d’éventuelles modernisations. Le cabinet indépendant National Audit Office (NAO) estime que la facture réelle, sur toute la durée de vie, pourrait atteindre 71 milliards de livres.

Paradoxalement, les décisions de report ou d’économie prises à court terme — retard de livraisons, délais d’infrastructure, manque de personnel — provoquent un renchérissement sensible à long terme.

En outre, l’introduction de la version F-35A, destinée à la mission nucléaire de l’OTAN, pourrait engendrer des coûts supplémentaires liés à la certification, à la formation et à la mise en conformité des infrastructures. Aucun chiffrage précis n’a été fourni.

F-35B RAF

Les conséquences pour la Royal Air Force et la Royal Navy

Disponibilité réduite et capacités opérationnelles amoindries

Avec un tiers seulement des missions exécutées en 2024, la flotte F-35 britannique peine à atteindre ses objectifs.

Le manque d’ingénieurs et de techniciens ralentit les maintenances. Les avions restent cloués au sol plus longtemps, ce qui compromet les rotations, la projection à l’étranger et la disponibilité en cas de crise.

L’absence de munitions stand-off signifie qu’en cas de conflit contre un adversaire doté de défenses antiaériennes avancées, le F-35B ne pourra pas frapper de manière sûre. Son emploi dans un rôle d’attaque au sol serait alors risqué, voire inefficace.

Risques pour la crédibilité des porte-avions

Les deux porte-avions britanniques reposent largement sur le F-35B pour assurer le rôle de lutte aérienne, de frappe et de supériorité aérienne. Si ces avions ne disposent pas des armes adéquates, la crédibilité des flottilles navales en opération s’en trouve compromise. De plus, la flotte est fragilisée par des maintenances différées, alors même que l’objectif de deux escadrons complets d’ici fin 2025 repose sur des promesses difficiles à tenir.

Impact sur le personnel et la cohésion

Des logements et des conditions de vie inadaptés sur la principale base F-35 nuisent au moral, à la rétention du personnel et à l’attractivité du programme. À long terme, cela pourrait générer un exode de techniciens et de pilotes vers d’autres forces ou vers le civil.

Le retard dans le recrutement et la formation — en particulier des instructeurs — compromet la montée en puissance souhaitée et risque de créer un goulet d’étranglement durable.

Que se passerait-il si le Royaume-Uni renonçait à certaines commandes ?

Le rapport n’aborde pas explicitement un abandon, mais plusieurs scénarios peuvent émerger si le MoD choisit de réduire le nombre de F-35 commandés ou de freiner le programme.

  • Le coût unitaire de chaque avion pourrait augmenter, car les économies d’échelle disparaîtraient. La maintenance, les infrastructures et le soutien logistique resteraient à répartir sur un nombre réduit d’appareils — ce qui rendrait le programme encore moins rentable.
  • La capacité de projection aérienne et navale du Royaume-Uni s’en trouverait amoindrie. Moins d’avions signifie moins de rotations possibles, une pression accrue sur les appareils restants et une perte de flexibilité stratégique, en particulier pour les opérations embarquées.
  • L’efficacité en matière de frappe aérienne — déjà limitée — deviendrait plus incertaine. Sans munitions stand-off et avec une flotte réduite, la Royal Navy et la Royal Air Force pourraient perdre leur supériorité opérationnelle, au moins sur certains scénarios de combat « haute intensité ».
  • Le coût irrécupérable déjà engagé ne serait pas annulé : les sommes versées, les infrastructures partiellement construites, le maintien de personnels inactifs coûteraient toujours. Le rapport du PAC note l’impact négatif de cette instabilité budgétaire sur la confiance des alliés et sur l’efficacité des engagements de défense.

En l’absence d’un plan crédible de remise à niveau (personnel, armes, infrastructures), une réduction du programme risquerait de préserver uniquement le risque — sans offrir le moindre avantage stratégique tangible.

L’origine des erreurs : court-termisme et mauvaise gestion

Le rapport du PAC assimile les décisions du MoD à celles d’un propriétaire repoussant indéfiniment les réparations d’un toit qui fuit ; des économies mineures aujourd’hui, mais des conséquences lourdes demain.

Différer la construction d’infrastructures essentielles (comme l’ASAF), retarder la livraison des avions, ne pas recruter assez vite de techniciens ou d’ingénieurs, repousser l’achat de munitions clés… autant de choix qui, cumulés, transforment un programme d’avant-garde en un chantier déficient.

Le PAC critique la projection de coût du programme : les 57 milliards de livres annoncés d’ici 2069 n’intègrent pas les coûts de personnel, de carburant, d’entretien, de modernisation, ni les incertitudes liées à l’évolution des missions. Ce chiffrage paraît donc sous-dimensionné.

Enfin, l’ajout de la version F-35A pour la mission nucléaire de l’OTAN a été décidé alors que le MoD ne maîtrisait pas encore les exigences techniques, humaines et infrastructurelles nécessaires. Le rapport juge cette décision prématurée, risquant de générer des coûts supplémentaires imprévus.

Ce que réclame le rapport — et ce que cela révèle

Le PAC formule plusieurs exigences claires :

  • Fournir un plan détaillé précisant comment le Royaume-Uni compte acquérir une capacité stand-off crédible avant l’intégration de SPEAR 3.
  • Mettre en place une stratégie ambitieuse et réaliste de recrutement et de rétention pour ingénieurs, techniciens, pilotes et instructeurs.
  • Améliorer rapidement les infrastructures d’hébergement et de soutien à la base RAF Marham afin d’éviter l’attrition du personnel.
  • Revoir la gouvernance du programme pour éviter que des décisions de court terme n’induisent des surcoûts majeurs à long terme.

Ces remarques révèlent un constat cinglant : la technologie d’un avion de 5ᵉ génération ne suffit pas. Sans un soutien humain, logistique, budgétaire et stratégique à la hauteur, le F-35 britannique risque de rester un avion « prometteur » mais inefficace, surtout en contexte de haute menace.

Vers un tournant pour la défense britannique

Le rapport du PAC pourrait constituer un électrochoc. Il met le doigt sur un problème plus vaste : la difficulté pour les États de conjuguer ambitions militaires, contraintes budgétaires et réalités industrielles. Dans le cas du F-35, l’erreur n’est pas technologique mais institutionnelle et organisationnelle.

Si le MoD accepte de repenser son approche — en plaçant l’horizon long au-dessus des économies immédiates — il existe encore une fenêtre pour redresser le programme. Cela passe par des recrutements massifs, un financement sérieux des munitions et des infrastructures, et une gestion plus rigoureuse des coûts.

Si rien ne change, le Royaume-Uni risque non seulement de gaspiller des dizaines de milliards de livres, mais surtout de se retrouver dépourvu d’un outil de supériorité aérienne crédible au moment où la demande stratégique pourrait être la plus forte.

Sources

Rapport du Public Accounts Committee « The UK’s F-35 stealth fighter capability » (octobre 2025)
Article « Ministry of Defence’s F-35 blunder: £57B and counting » – The Register (novembre 2025)
Analyse « UK’s F-35: advanced technology shot down by poor management » – Aviacionline Défense (novembre 2025)
Article « MOD cost-cutting crippled RAF’s F-35 capability » – Forces News (octobre 2025)
Article « UK questioned on F-35 standoff weapons gap » – UK Defence Journal (novembre 2025)
Données sur SPEAR 3 (historique de développement) – Wikipédia (2025)

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