La Chine met en service le Fujian, son premier porte-avions conçu intégralement, équipé de catapultes électromagnétiques : un tournant stratégique dans le Pacifique.
En résumé
Le porte-avions Fujian (Type 003) marque une avancée majeure pour la marine chinoise. Pour la première fois, Pékin déploie un navire entièrement conçu et construit en Chine, doté d’un système de lancement électromagnétique d’aéronefs (EMALS) comparable à celui de l’US Navy. Avec une capacité estimée à plus de 80 000 tonnes de déplacement, une longueur d’environ 316 mètres et un pont d’envol complet CATOBAR, ce navire renforce la capacité de projection de chasseurs navals chinois comme le Shenyang J‑15 et bientôt le furtif Shenyang J‑35. Cette montée en puissance modifie significativement l’équilibre militaire dans le Pacifique : elle renforce la portée des groupes-porteurs chinois et pose de nouveaux défis pour les forces américaines et alliées. Toutefois, une période d’intégration et d’essais restera nécessaire avant pleine disponibilité opérationnelle.
Le navire et ses caractéristiques techniques
Le Fujian est le troisième porte-avions de la People’s Liberation Army Navy (PLAN), après le Liaoning (Type 001) et le Shandong (Type 002). C’est le premier construit intégralement en Chine et non dérivé d’une ancienne plateforme soviétique.
Selon les données les plus fiables : il mesure environ 316 mètres de long et environ 76 mètres de large (pont d’envol) avec un déplacement à pleine charge estimé entre 80 000 et 85 000 tonnes.
Le navire dispose d’un pont d’envol rectiligne, de trois catapultes électromagnétiques (EMALS) et d’un système d’arresting-wires pour récupérer les avions, ce qui constitue un bond technologique majeur comparé aux précédents porte-avions chinois qui utilisaient une rampe inclinée (ski-jump).
La propulsion reste conventionnelle (turbines à vapeur ou système non nucléaire), ce qui impose des limites en endurance par rapport aux porte-avions nucléaires américains.
Sur le plan aérien, le Fujian pourrait embarquer entre 50 et 60 aéronefs selon les estimations, incluant des chasseurs J-15 ou J-35, des avions de veille type Xian KJ‑600 et des hélicoptères anti-sous-marins.
Cette combinaison de surface, propulsion, pont d’aviation et aéronefs embarqués place le Fujian parmi les plus imposants porte-avions civils hors Etats-Unis.
L’innovation des catapultes électromagnétiques et leurs implications
La véritable rupture technologique du Fujian réside dans l’adoption d’un système de lancement électromagnétique (EMALS). Jusqu’à présent, seuls les porte-avions américains de classe Gerald R. Ford disposaient de cette technologie de catapultage électrique.
L’EMALS permet de lancer des aéronefs plus lourds, avec plus de carburant ou armement, et réduit la fatigue structurelle induite par les catapultes à vapeur. Cela ouvre la porte à l’emploi d’avions navalisés plus modernes et à des cargaisons accrues.
Le Fujian est déclaré être « CATOBAR-capable » plutôt que le précédent « STOBAR » (ski-jump). La différence est importante : un aéronef lancé par catapulte peut décoller avec une charge utile supérieure, ce qui améliore rayon d’action et efficacité. Les médias chinois ont diffusé des images de lancement réussis d’un J-15T et d’un KJ-600 via catapulte depuis le Fujian.
L’émergence de cette technologie permet à la Chine de franchir un palier tactique : le navire peut accueillir des avions de plus grande envergure, plus lourds, plus performants, et ainsi accroître sa valeur comme plateforme stratégique de projection.
Le renforcement des capacités de projection navale chinoises
Avec la mise en service du Fujian, la Chine passe officiellement à une flotte de trois porte-avions opérationnels, ce qui accroît sa capacité de déploiement et sa couverture géographique.
Cette montée en puissance est significative dans le contexte de la stratégie chinoise dans le Pacifique et l’Océan Indien : le navire permet de soutenir des groupes aéronavals plus crédibles pour des opérations de haute mer, au-delà de la première chaîne d’îles (First Island Chain).
En pratique, cela signifie que la Chine peut désormais projeter des chasseurs navals à plus longue portée, couvrir un volume maritime plus vaste et dissuader ou surveiller des zones stratégiques, notamment autour de Taïwan, dans la mer de Chine méridionale ou dans l’Océan Indien. Le Fujian dotée d’un pont CATOBAR peut lancer des missions de frappe, de surveillance et d’appui plus efficaces.
En matière d’aviation embarquée, l’arrivée future du J-35 furtif renforce l’effet stratégique. Le fait que le Fujian accepte déjà des appareils comme le KJ-600 (veille et contrôle) signale une maturité accrue du groupe aéronaval chinois.
Le message est double : d’une part, la Chine démontre qu’elle peut concevoir et construire des grands navires porte-avions autonomes ; d’autre part, elle affirme sa capacité à rivaliser avec les grandes marines occidentales dans la projection de puissance maritime.

Les défis persistants et limites opérationnelles
Malgré ce progrès technique, plusieurs obstacles restent à franchir avant que le Fujian soit pleinement opérationnel. En premier lieu, la période d’essais et d’entraînement s’annonce longue. Le navire n’est pas immédiatement utilisable à pleine capacité, selon des analystes qui évoquent plusieurs mois à un an pour atteindre le stade de groupe aéronaval pleinement intégré.
La propulsion conventionnelle, au lieu d’un moteur nucléaire, limite son rayon d’action et le nombre de jours en mer sans ravitaillement. Les porte-avions américains nucléaires ont un avantage en endurance et en opération continue.
Un autre défi concerne la formation des pilotes embarqués, la mise en œuvre pratique du catapultage électromagnétique avec un nombre suffisant d’appareils et de missions, ainsi que la logistique d’une force navale de cette taille (ravitaillement, soutien, aéronefs navalisés). L’intégration de la flotte, du ravitaillement sous-marin, des destroyers d’escorte et des systèmes de soutien reste un travail de longue haleine.
Enfin, la Chine doit prouver la fiabilité de ce système et démontrer des opérations régulières en haute mer avec le Fujian. Tant que ces capacités ne sont pas démontrées publiquement, les adversaires potentiels pourront (« les puissances américaines ou alliées ») estimer que c’est davantage un symbole qu’un atout pleinement valide.
Les conséquences stratégiques pour l’équilibre dans le Pacifique
L’entrée en service du Fujian modifie les équilibres militaires en Asie-Pacifique. Pour les États-Unis et leurs alliés, chaque porte-avions additionnel de la Chine réduit la marge d’action dans la région. Une marine chinoise capable de soutenir trois groupes aéronavals affaiblit la suprématie américaine dans certaines zones.
En particulier, dans un scénario de crise autour de Taïwan ou de la mer de Chine méridionale, le Fujian augmente la portée d’intervention de la Chine, sa capacité à maintenir une présence persistante et à exercer une forme de dissuasion maritime.
De plus, ce progrès technologique — délivrer un navire CATOBAR entièrement domestique — renforce le message chinois de souveraineté industrielle. Cela diminuerait la dépendance à des technologies étrangères et accroît l’autonomie stratégique de la marine chinoise.
Pour les marines régionales (Japon, Australie, Inde), cela impose une reconsidération de la façon dont elles surveillent et réponse aux groupes-porte-avions chinois, y compris dans des zones traditionnellement « sous influence » américaine.
Enfin, cela prépare aussi à de nouvelles alliances ou ventes internationales. Le développement de cette capacité navale signale aux États tiers que la Chine n’est plus uniquement une puissance continentale mais aussi une force maritime de premier ordre.
L’industrie navale chinoise et ses ambitions futures
Le Fujian est aussi un jalon pour l’industrie chinoise. Il montre que le chantier naval de Jiangnan et la China State Shipbuilding Corporation peuvent concevoir et construire un porte-avions moderne doté de catapultes électromagnétiques, ce qui jusqu’ici était réservé à quelques pays.
À plus long terme, la Chine travaille déjà sur un futur porte-avions de classe Type 004, qui pourrait être nucléaires et dépasser les 100 000 tonnes. Le succès du Fujian constitue donc une étape vers cette ambition.
Sur le plan export, bien que la Chine n’ait pas encore de grand marché export de porte-avions, cette réussite technique renforce sa crédibilité dans le secteur naval et pourrait influencer les futurs contrats internationaux.
Au niveau industriel, la transition vers des systèmes CATOBAR, des catapultes électromagnétiques, des systèmes intégrés de propulsion et de contrôle des aéronefs navalisés requiert un savoir-faire élevé et une chaîne d’approvisionnement robuste. Le Fujian est un banc d’essai grandeur nature pour ces compétences.
Une perspective pour la marine chinoise et l’ère maritime
La mise en service du Fujian ouvre une nouvelle ère pour la marine chinoise. Elle n’est plus centrée uniquement sur la défense du littoral ou l’architecture « première chaîne d’îles », mais aspire désormais à être une force de haute mer, capable d’opérations dans l’océan Indien et au-delà.
Cela pose des questions sur la façon dont la Chine entend employer ces capacités – dissuasion, projection, influence ou « zone gris » maritime. Le navire peut devenir un outil diplomatique autant qu’un outil de combat.
Pour les observateurs, la clé sera de voir comment rapidement le Fujian deviendra opérationnel : quels aéronefs seront déployés, quelle fréquence de missions, quel soutien d’escorte, et bien sûr, comment cela s’articulera avec les autres éléments de la marine chinoise.
Le porte-avions reste l’un des symboles ultimes de la puissance navale. En alignant conception domestique, technologie CATOBAR et ambition océanique, la Chine montre qu’elle veut jouer un rôle de premier plan dans la compétition pour l’espace maritime indopacifique. Le chemin reste encore long, mais le cap est désormais clairement fixé.
Sources
- “China’s third aircraft carrier, the Fujian, enters service.” Reuters, 7 nov. 2025.
- “China’s latest aircraft carrier enters service to extend reach into high seas.” The Guardian, 7 nov. 2025.
- “Analysis: what we know about the Fujian, China’s new aircraft carrier.” Naval-Technology, 2024.
- ChinaPower Project, “How Advanced Is China’s Third Aircraft Carrier?”
- Naval-Encyclopedia.com, “Type 003 Fujian – China’s first indigenous CATOBAR carrier.”
- MarineInsight.com, “China’s Most Advanced Aircraft Carrier Nears Commissioning After Intensive Sea Trial.”
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