
Türkiye commande le 6ᵉ prototype du chasseurs KAAN pour intensifier les essais pour un déploiement prévu en 2035.
Le sixième prototype du chasseur de 5ᵉ génération KAAN a été commandé par la SSB (Présidence des Industries de Défense) en juillet 2025, renforçant une campagne de tests simultanés : soufflerie, avionique, résistances environnementales, roulages haute vitesse. Ce nouveau prototype complète un plan stratégique de six appareils, chacun dédié à des phases spécifiques : vol, avionique, armement. Les blocs de production s’enchaineront : Block 20 avec moteurs F‑110 GE dès 2028, Block 30 puis 40 avec moteur TEI‑TF35000, prévu pour 2032. Ce programme, initié en 2010 et accéléré après la sortie du programme F‑35, vise à fédérer une filière locale, offrir un chasseur autonome (~100–150 unités) à 80–120 M€ l’unité, et viser l’export — Indonésie déjà intéressée, Azerbaïdjan, Pakistan, Ukraine en discussions. Le KAAN représente une percée technique, économique et géopolitique pour Türkiye, avec une mise en service prévue à l’horizon 2035.
Le contexte stratégique influençant KAAN
Le programme KAAN a été lancé en 2010 par la SSB pour concevoir un chasseur de 5ᵉ génération remplaçant la flotte de F‑16 vieillissante. L’exclusion de Türkiye du programme F‑35 en 2019, à cause de l’achat du système S‑400 russe, a généré une perte estimée à 20 milliards €, mais a également libéré des ressources et motivations pour renforcer une filière souveraine. Replacer le chasseur dans le cercle restreint des pays disposant d’une aviation furtive (États‑Unis, Chine, Russie) est un levier stratégique : le KAAN ambitionne d’atteindre des capacités comparables au F‑22, F‑35, J‑20 ou Su‑57.
L’effort est aligné sur une doctrine géopolitique volontariste : asseoir l’influence régionale (Moyen‑Orient, Asie centrale, Afrique), réduire la dépendance occidentale, et soutenir les relations au sein de l’OTAN. Le successeur du F‑35 — technologiquement et politiquement — est essentiel pour consolider cette posture. Cet agenda est cohérent avec l’objectif d’une autonomie stratégique, tant militaire qu’industrielle. L’approche s’accompagne d’investissements massifs dans les partenaires industriels locaux (TAI, TEI, Aselsan, Roketsan), dépassant 10 000 ingénieurs, un budget projeté entre 15 et 20 milliards € d’ici 2035. Ces éléments soulignent le cadre structurant du programme — à la croisée des ambitions technologiques, politiques et économiques.
Détail du 6ᵉ prototype KAAN et des phases de test prévues
La commande du sixième prototype KAAN en juillet 2025 marque une étape structurante dans la montée en puissance du programme. Ce prototype est destiné à accélérer les essais parallèles, en évitant les goulets d’étranglement liés à la disponibilité limitée des plateformes précédentes. Il s’inscrit dans une logique de découplage fonctionnel : chaque appareil est affecté à une campagne spécifique — validation avionique, manœuvres à haute vitesse, essais de structure, tests environnementaux, certification des systèmes embarqués.
Le 6ᵉ prototype est notamment mobilisé pour les essais en soufflerie, cruciaux pour valider le comportement aérodynamique à différentes vitesses et angles d’attaque. Les tunnels transsoniques de TUSAŞ permettent de simuler des vitesses proches de Mach 2 dans des conditions contrôlées. Le fuselage du KAAN est étudié à partir de maquettes à l’échelle 1:7, puis 1:3, avec mesures de portance, traînée, et comportement vibratoire.
Parallèlement, des tests de résistance aux contraintes environnementales sont menés dans des enceintes climatiques simulant des températures extrêmes, de −55 °C à +60 °C, avec cycles d’humidité et exposition à la poussière. Ces simulations anticipent des déploiements opérationnels dans des environnements désertiques, continentaux ou polaires.
Le programme inclut également des essais de roulage haute vitesse (High-Speed Taxi Test), qui permettent de valider la stabilité directionnelle de l’avion sur piste, la performance des freins carbone-céramique, et la résistance du train d’atterrissage. Ces roulages s’effectuent jusqu’à 250 km/h sans décollage, avec une attention portée sur les réponses avioniques en dynamique réelle.
Enfin, la validation des systèmes avioniques embarqués (navigation inertielle, radar AESA, liaisons de données, contre-mesures électroniques) mobilise un banc de test intégré simulant les interférences multi-sources, les pannes internes et les agressions électromagnétiques. Ces essais constituent une phase critique, en particulier pour la validation du système de gestion de mission (Mission Computer).
L’ajout de ce prototype dans la chaîne de développement permet de maintenir le programme sur un calendrier compressé tout en respectant les standards OTAN de certification. Il contribue à stabiliser les marges de manœuvre pour les futures phases de vol supersonique, d’armement réel et de tests avec pilotes opérationnels.
Un moteur indigène : une étape critique du programme KAAN
L’un des piliers les plus sensibles du programme KAAN réside dans l’indépendance propulsive. Actuellement, les prototypes sont équipés de moteurs General Electric F110-GE-129, d’origine américaine, déjà utilisés sur les F-16 turcs. Ces turboréacteurs à postcombustion produisent une poussée maximale de 131 kilonewtons chacun, ce qui permet au KAAN d’atteindre une vitesse estimée de Mach 1,8 à 2, soit environ 2 200 km/h à haute altitude.
Mais le recours à cette motorisation étrangère est une solution transitoire. La véritable ambition du programme est l’intégration d’un moteur national, actuellement en cours de développement sous l’appellation TEI-TF6000 pour les tests de base, et TEI-TF35000 pour la version finale à double flux, dédiée au vol supersonique avec postcombustion. Ce moteur est développé par TEI (Tusaş Engine Industries), entreprise issue d’un partenariat entre Turkish Aerospace Industries, General Electric, et l’État turc.
Le moteur TEI-TF35000 vise une poussée unitaire de 159 kilonewtons, soit un gain de performance de près de 20 % par rapport au F110, tout en intégrant des matériaux résistants aux hautes températures (superalliages à base de nickel, céramiques renforcées) et des compresseurs à aubes monoblocs. Le développement en est au stade des essais statiques sur banc moteur depuis 2023, avec des campagnes de test sur cellule prévues à partir de 2027.
La conception repose sur une architecture modulaire : double corps, double flux, avec postcombustion, contrôle FADEC, et admission variable. L’objectif est d’obtenir un rapport poids-poussée supérieur à 10:1, ce qui le placerait dans la catégorie des moteurs comparables au F119 du F-22 ou au Saturn AL-41F1 du Su-57. Le moteur devra également respecter des exigences de furtivité acoustique et thermique, notamment par un refroidissement partiel des gaz d’éjection et un traitement spécifique des buses pour réduire la signature infrarouge.
Outre les performances, le moteur indigène permettrait de sécuriser la chaîne logistique, d’éviter les dépendances réglementaires (licences ITAR américaines), et de réduire les coûts d’exploitation. Le coût unitaire visé serait de 4 à 5 millions d’euros, contre 7 à 8 millions pour un F110 importé. La Turquie espère produire localement 40 moteurs par an dès la phase industrielle à partir de 2030, avec une durée de vie opérationnelle visée de 4 000 à 6 000 heures, soit 15 à 20 ans en utilisation militaire standard.
L’intégration de ce moteur dans les futures séries Block 30 (vers 2032) puis Block 40 (à l’horizon 2035) représente le point d’inflexion stratégique du programme. Elle conditionne non seulement l’autonomie technologique, mais également la viabilité des exportations, car une motorisation nationale permettrait d’échapper aux restrictions d’exportation imposées par les fournisseurs étrangers. Elle pourrait aussi faire du moteur TEI un produit d’exportation pour d’autres plateformes aériennes régionales, civiles ou militaires.

Performances et capacités techniques du chasseur KAAN
Le KAAN a été conçu comme un avion de chasse de 5ᵉ génération, devant combiner furtivité radar, polyvalence opérationnelle, avionique avancée, et capacités supersoniques. Les données techniques disponibles révèlent un appareil bimoteur, d’une longueur de 21 mètres, avec une envergure de 14 mètres et un poids maximal au décollage estimé à 27 tonnes. Il est équipé d’un train d’atterrissage tricycle rétractable et d’une soute d’armement interne, conçue pour préserver la furtivité.
En vitesse de pointe, le KAAN devrait atteindre Mach 1,8 à 2 (environ 2 200 km/h à haute altitude) grâce à sa double motorisation. L’autonomie prévue en configuration de combat est supérieure à 1 100 kilomètres, avec un rayon d’action de plus de 1 500 kilomètres avec réservoirs additionnels. L’appareil devrait aussi disposer d’une capacité de ravitaillement en vol via perche rigide ou flexible.
Côté manœuvrabilité, les ingénieurs de Turkish Aerospace Industries visent une agilité équivalente au F-22. Le design inclut des surfaces mobiles de grandes dimensions (gouvernes et dérives inclinées), un système de contrôle de vol numérique à quadruple redondance, et des actionneurs électromécaniques intégrés dans la voilure pour minimiser les latences. Le taux de virage instantané annoncé est supérieur à 20 degrés par seconde en régime transsonique.
La suite avionique comprend un radar AESA à balayage électronique actif produit par Aselsan, une nacelle optronique infrarouge IRST, une suite de guerre électronique modulaire, et un système de liaisons de données compatible avec les standards OTAN (Link 16, MADL). L’environnement cockpit est full digital, avec affichage HUD grand format, commandes vocales, interface tactile et pilotage assisté par IA.
La soute interne permet l’emport de missiles air-air à moyenne et longue portée (Gökdoğan, Bozdoğan), missiles air-sol guidés par GPS, et bombes à guidage laser. La charge utile interne est estimée à 2 500 kg, complétée par des points d’emport externes permettant de porter le total à 10 tonnes en configuration non furtive. Ce compromis permet au KAAN de réaliser à la fois des missions de supériorité aérienne, d’attaque au sol, ou de frappe stratégique, avec une faible signature radar lorsque configuré pour l’infiltration.
En termes de signature radar, bien que les valeurs exactes restent classifiées, plusieurs sources estiment la section équivalente radar (RCS) à moins de 0,01 m², en bande X. Cela placerait le KAAN au même niveau que le F-35 ou légèrement au-dessus du F-22, tout en restant largement inférieur aux chasseurs de génération 4++ (Typhoon, Rafale, Su-35).
Enfin, les caractéristiques furtives sont renforcées par l’emploi de matériaux composites absorbants (RAM), d’un profil aérodynamique en flèche accentuée, et d’une conception sans saillie externe (antenne, capteur, emport d’armement) sur les premières configurations opérationnelles.
Ces spécifications techniques positionnent le KAAN comme un chasseur avancé à vocation mixte, capable de remplir des missions variées dans des environnements contestés, avec une survivabilité renforcée face aux défenses sol-air modernes.
Calendrier de production et intégration progressive du KAAN
Le programme KAAN repose sur un déploiement par blocs successifs, une méthode permettant de valider des capacités progressivement tout en poursuivant le développement industriel. Ce calendrier par tranches autorise une montée en puissance maîtrisée et une réduction des risques technologiques, en limitant les changements simultanés sur une même plateforme.
Le premier prototype a effectué un vol inaugural de 13 minutes en février 2024, à basse altitude, avec train sorti et enveloppe de vol restreinte. Ce test, réalisé à Mürted Air Base (près d’Ankara), a été présenté comme un jalon structurant, deux ans en avance sur le planning initial. Il a permis de valider le comportement de la cellule, les commandes de vol, la réponse des capteurs de bord et la synchronisation des modules avioniques.
Le développement suit désormais un plan en quatre blocs principaux :
- Block 10 (2024–2026) : prototypes de développement. Vols d’essai, validation aérodynamique, tests avionique.
- Block 20 (2027–2029) : première série limitée équipée de moteurs F110. Introduction en escadron pour tests opérationnels au sein des forces.
- Block 30 (2030–2033) : transition vers moteur TEI-TF35000. Renforcement des capacités de combat (guerre électronique, liaison de données tactique).
- Block 40 (2034–2035) : version pleinement intégrée, motorisation nationale, capacités furtives optimales, charge utile complète.
La production industrielle est prévue pour démarrer à petits volumes dès 2028, avec une cadence visée de 10 à 12 avions par an à partir de 2030. L’objectif officiel est de livrer entre 100 et 150 appareils à la Türk Hava Kuvvetleri (THK) d’ici 2035, selon les besoins budgétaires et le niveau d’industrialisation du moteur indigène.
L’intégration en unité de combat se fera de manière progressive, à partir des escadrons actuellement équipés de F-16, à commencer par ceux affectés à la défense de l’espace aérien national. Les pilotes seront formés sur simulateur dès 2026, en parallèle d’un programme de conversion opérationnelle spécifique. Des bancs d’essai virtuels, intégrant les scénarios OTAN, sont également en cours de déploiement pour accompagner cette montée en capacité.
Cette planification laisse ouverte la possibilité d’une intégration partielle dans les systèmes de commandement C4ISR turcs dès la version Block 20. Le processus complet, depuis les tests en vol jusqu’à la pleine capacité opérationnelle (FOC), est estimé à une durée de 10 à 12 ans. L’objectif fixé par la SSB reste une mise en service complète d’ici 2035, avec tous les composants critiques (moteur, radar, système de guerre électronique, suite de mission) issus du tissu industriel national.
Ce calendrier, réaliste mais ambitieux, conditionne la crédibilité du programme auprès de ses partenaires internationaux et détermine les futures perspectives commerciales.
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