
La PLAAF et la marine chinoise ont mené une patrouille conjointe avec 18 avions de combat autour de Taïwan, première démonstration post-électorale.
En résumé
La Chine a déployé 18 avions de combat et plusieurs bâtiments de surface autour de Taïwan dans une patrouille conjointe réunissant la PLAAF et la PLAN. Cette opération, survenue après l’élection présidentielle taïwanaise, illustre la volonté de Pékin d’exercer une pression constante sur l’île. Les appareils impliqués – J-16, J-10C, Y-8 et KJ-500 – ont franchi la ligne médiane du détroit et évolué dans la zone d’identification aérienne de Taïwan. Côté maritime, des frégates Type 054A et un destroyer Type 052D ont complété le dispositif. Taipei a répliqué en déployant des chasseurs et des systèmes de défense sol-air. Washington, Tokyo et l’Union européenne ont appelé à la retenue. Cet épisode montre comment Pékin combine pression militaire, dissuasion politique et signal diplomatique dans sa stratégie de contrôle gradué du détroit.
La nature de la patrouille : une démonstration coordonnée air-mer
Le ministère taïwanais de la Défense a signalé la détection de 18 avions de combat et de 6 bâtiments de la marine chinoise au matin du 20 janvier 2025, soit trois jours après l’annonce officielle du nouveau président élu à Taipei. Les forces aériennes chinoises (PLAAF) et la marine (PLAN) ont conduit ce qui est qualifié de « patrouille conjointe de préparation au combat », une terminologie spécifique du commandement chinois utilisée pour désigner des exercices opérationnels mixtes.
Les appareils recensés comprenaient douze chasseurs J-16 multirôles, quatre J-10C, un avion de guerre électronique Y-8 EW, et un avion de commandement et de détection avancée KJ-500. Plusieurs ont traversé la ligne médiane du détroit de Taïwan — une frontière de facto qui sépare les zones d’influence — pour pénétrer brièvement dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) taïwanaise. Ces incursions se sont déroulées à des altitudes comprises entre 4 500 et 9 000 mètres, à des vitesses modérées, témoignant d’un profil de surveillance plutôt que d’un scénario d’attaque.
En parallèle, la marine chinoise a déployé deux frégates de classe Type 054A, un destroyer Type 052D et plusieurs bâtiments de soutien logistique. Le groupe a évolué entre la côte du Fujian et le canal de Bashi, tandis qu’un avion de patrouille maritime Y-8Q survolait la mer de Chine orientale. Cette manœuvre simultanée air-mer vise à tester la coordination interarmées et la capacité de détection et de réaction de Taïwan dans un contexte post-électoral sensible.
Les appareils engagés : un échantillon représentatif de la puissance chinoise
Le J-16, dérivé modernisé du Su-27, est le pilier de la force de frappe chinoise. Il dispose d’un radar AESA, d’une avionique numérique et de capacités air-air et air-sol étendues. Avec une autonomie d’environ 1 500 kilomètres et une charge utile de 8 tonnes, il peut couvrir tout le détroit de Taïwan sans ravitaillement. Sa combinaison d’agilité et de puissance radar en fait un instrument privilégié pour les missions de coercition aérienne.
Le J-10C, chasseur léger monomoteur, est employé comme intercepteur rapide et appareil d’escorte. Sa cellule optimisée et son radar AESA permettent une détection à moyenne portée tout en conservant une empreinte radar plus faible que celle du J-11 ou du Su-30. L’association de ces deux plateformes – lourde et légère – permet à la PLAAF de simuler une attaque combinée contre des cibles aériennes et terrestres.
Le KJ-500, appareil de détection et de commandement, constitue le pivot du dispositif. Son radar en dôme rotatif couvre un champ de 360 degrés, capable de suivre plus de 100 cibles simultanément à plus de 450 kilomètres. Il assure la gestion tactique des chasseurs et le relais avec les systèmes navals. Le Y-8 EW fournit pour sa part des capacités de brouillage, destinées à perturber les radars adverses et les transmissions.
Ces plateformes, opérées simultanément, traduisent un haut degré d’intégration interarmées. Elles démontrent la maturité croissante de la PLAAF, capable d’orchestrer des opérations complexes en coordination avec la PLAN, sans dépendre d’un soutien américain ou russe.
Le contexte politique : un message adressé à Taipei et à ses alliés
La patrouille intervient dans un climat politique chargé. Les élections taïwanaises de janvier 2025 ont vu la victoire d’un candidat favorable au maintien du statu quo face à Pékin, mais attaché à l’autonomie politique de l’île. Pour la Chine, il s’agit d’un signal d’irritation et de dissuasion politique.
Ces opérations sont devenues la méthode privilégiée de Pékin pour exprimer son mécontentement sans recours direct à la force. Depuis 2022, les incursions quotidiennes de la PLAAF dans l’ADIZ taïwanaise sont passées de 5 à près de 20 appareils par jour. La manœuvre actuelle se distingue toutefois par son caractère interarmées et sa proximité temporelle avec l’élection.
En engageant simultanément sa marine et ses forces aériennes, la Chine souhaite rappeler qu’elle peut isoler Taïwan sur plusieurs axes : au nord par les côtes du Fujian, au sud par le détroit de Bashi, et à l’est via les couloirs d’accès à la mer des Philippines. Cette stratégie dite de pression à 360 degrés cherche à user les capacités de surveillance taïwanaises et à maintenir l’île dans un état d’alerte permanent.

Les réactions internationales : prudence et fermeté
Taïwan a réagi en déployant ses F-16V depuis les bases de Hualien et Taitung, en mettant en alerte ses batteries Patriot PAC-3 et Sky Bow III, et en diffusant des avertissements radio. Les forces taïwanaises n’ont pas cherché l’interception directe, privilégiant la surveillance et la traçabilité radar pour éviter tout incident.
À Washington, le Pentagone a qualifié l’opération de « provocation irresponsable », soulignant qu’elle « ne contribue pas à la stabilité régionale ». Des avions américains de surveillance RC-135 Rivet Joint et un drone MQ-4C Triton ont été observés dans la mer des Philippines, à environ 200 kilomètres de la ligne médiane, probablement pour collecter des données sur la coordination chinoise.
Le Japon, dont les chasseurs F-15 assurent la police du ciel sur Okinawa, a relevé une intensification des vols chinois dans la zone d’identification japonaise méridionale. Tokyo a rappelé que « la paix et la stabilité du détroit de Taïwan sont essentielles à la sécurité régionale ». L’Union européenne, dans un communiqué du Service d’action extérieure, a exhorté la Chine à « s’abstenir de toute action unilatérale susceptible de modifier le statu quo ».
Ces réactions illustrent une constante : l’Occident considère désormais chaque mouvement militaire chinois autour de Taïwan comme un test de volonté collective.
L’impact géopolitique : une consolidation du rapport de force
Sur le plan stratégique, la patrouille marque un tournant dans la projection régionale chinoise. Elle montre la capacité de la PLAAF à combiner présence aérienne, surveillance maritime et coordination de commandement dans un environnement saturé de radars et d’interférences. C’est aussi un signal adressé aux États-Unis : Pékin veut prouver qu’il peut maintenir une pression constante sans franchir le seuil d’une confrontation ouverte.
Pour Taïwan, l’enjeu est double : préserver la crédibilité de sa défense aérienne intégrée tout en évitant l’épuisement de ses pilotes et de ses systèmes. Le gouvernement taïwanais a augmenté son budget de défense à 2,6 % du PIB pour 2025, soit environ 19 milliards d’euros, afin d’accélérer l’acquisition de drones, radars tridimensionnels et missiles anti-navires Hsiung Feng III.
Côté américain, cette montée en cadence renforce la justification de l’assistance militaire et des ventes d’armes récentes, notamment les F-16 Block 70 et les missiles AGM-88 HARM. Pour Pékin, ces déploiements rappellent sa détermination à contester toute militarisation occidentale du détroit, en s’appuyant sur une stratégie de patrouilles soutenues, combinant dissuasion psychologique et apprentissage opérationnel.
Vers une militarisation progressive du détroit
La multiplication de ces patrouilles suggère une tendance structurelle : la normalisation de la présence chinoise autour de Taïwan. Pékin cherche moins la confrontation que l’habituation. En augmentant la fréquence des exercices conjoints et la densité des trajectoires, la Chine transforme la zone grise entre paix et conflit en un espace sous tension constante.
Cette stratégie, qualifiée par les analystes chinois de “gestion active du détroit”, permet de maintenir la pression sans déclencher de réaction collective majeure. Elle érode cependant la distinction entre exercice militaire et préparation opérationnelle. À terme, la frontière aérienne informelle pourrait perdre toute signification, transformant l’espace aérien taïwanais en zone de friction permanente.
Pour les alliés occidentaux, l’enjeu n’est plus seulement de réagir, mais d’anticiper. Chaque patrouille chinoise fournit des données sur la coordination, la durée et les profils de vol. Ces informations deviennent essentielles pour calibrer la dissuasion régionale. La question n’est plus de savoir si la Chine franchira un jour la ligne médiane, mais à quel moment elle cessera de reconnaître qu’elle existe encore.
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