L’Agence spatiale européenne (ESA) sollicite plus de 1 milliard d’euros pour le programme ERS combinant observation, positionnement et communications sécurisées dès 2028.
En résumé
L’ESA a dévoilé les contours du programme European Resilience from Space (ERS), conçu pour doter l’Europe d’une capacité spatiale autonome en matière de sécurité. Le budget visé avoisine 1,2 milliard d’euros, dont environ 750 millions consacrés à l’« observation de la Terre » (imagerie optique-radar à haut renouvellement) et 250 millions à un segment « Positioning, Navigation & Timing » (PNT) en orbite basse. L’effort inclut par ailleurs un volet communications via le programme IRIS² pour un accès sécurisé. Le lancement opérationnel est envisagé autour de 2028. Cette initiative reflète une volonté de l’Europe de ne plus dépendre essentiellement des États-Unis pour ses systèmes stratégiques spatiaux, tout en coordonnant des capacités dual-usage (défense et civil). Le programme s’inscrit dans un contexte de tensions géopolitiques renforcées et d’une industrie spatiale européenne en plein remaniement.
L’origine et les objectifs du programme de résilience spatiale
Le lancement public du programme European Resilience from Space (ERS) a été marqué lors de la conférence « Space for European Resilience », organisée à Bruxelles le 28 octobre 2025 par l’ESA avec l’appui de l’European Space Policy Institute (ESPI) sous la présidence danoise du Conseil de l’UE.
Le directeur général de l’ESA, Josef Aschbacher, a déclaré que l’Europe « reste trop fragmentée » pour garantir une véritable résilience spatiale autonome.
L’initiative répond à plusieurs défis : l’augmentation des menaces à l’échelle européenne (cybersécurité, guerre électronique, dépendance aux États-Unis), la nécessité de disposer de capacités d’observation, de positionnement et de communication à usage défense et civile, et la volonté de rationaliser et mutualiser les moyens au sein des États membres.
L’objectif stratégique est de structurer un écosystème spatial européen capable de fournir des services du type « représailles rapides », surveillance de crise, navigation protégée et relais de communication sécurisés, sans recourir à des systèmes non-européens. Le choix d’en faire un programme « optionnel » (non obligatoire pour chaque État membre) permet d’envisager une montée progressive à l’échelle de l’ESA et ses 23 pays membres. Le choix d’un horizon 2028 s’aligne avec le prochain cadre financier multiannuel (MFF) de l’Union européenne pour 2028-2034, ce qui montre que l’ERS s’inscrit dans une vision à moyen terme de la souveraineté spatiale européenne.
Le financement, la structure et l’architecture technique du programme
Le budget annoncé pour ERS est d’environ 1,2 milliard d’euros (~1,4 milliard de dollars) pour la phase initiale proposée à l’ESA avant la conférence ministérielle de novembre 2025.
La ventilation budgétaire est la suivante : environ 750 millions d’euros pour la composante « observation de la Terre » (pour des satellites d’imagerie optique et radar à très haut renouvellement) ; environ 250 millions d’euros pour la composante « PNT » (Positioning, Navigation & Timing) en orbite basse ; et le reste (~200 millions) dédié aux études initiales de communications sécurisées (via IRIS²) et d’infrastructures connexes.
Sur le plan technique, l’ESA envisage de démarrer avec un système « virtuel » : mutualisation des satellites existants des États membres exploités à usage national et ouvert à usage collectif. Toutefois, cette mutualisation ne suffira pas : selon Aschbacher, les systèmes nationaux combinés fourniraient environ « une douzaine d’images d’un site spécifique par jour », tandis que le besoin revendiqué est « une image toutes les 30 minutes ».
Pour atteindre cet objectif, ERS prévoit de développer une constellation dédiée de satellites optiques et radar, potentiellement intégrant des capteurs IR, radio-fréquences, des liens inter-satellites et de l’edge computing embarqué. Le premier lancement de démonstration pourrait avoir lieu dès 2028.
Un volet communication sécurisée s’appuie sur IRIS² : le directeur de la connectivité de l’ESA, Laurent Jaffart, a évoqué une enveloppe de 200 millions d’euros (50 millions pour études, 150 millions pour démonstrations) dans le cadre de la composante communications.
Cette architecture fait de l’ERS un programme hybride, combinant observation, navigation et communication dans un ensemble cohérent, rendant possible des opérations de sécurité spatiale intégrées (Dual-Use).

L’impact opérationnel et stratégique pour l’Europe
Le programme ERS modifie plusieurs paramètres stratégiques. Premièrement, sur le plan opérationnel, la capacité d’observer un point toutes les 30 minutes ouvre des possibilités inédites de suivi en temps quasi-réel de crises, de mouvements militaires ou d’incidents technologiques. Cela améliore l’anticipation et la réactivité pour les États membres. Deuxièmement, pour la navigation et le positionnement, disposer d’un segment PNT en orbite basse renforce la résilience du système européen Galileo contre les interférences, ce qui est essentiel en contexte de guerre électronique ou de conflit. Troisièmement, du point de vue communication sécurisée, l’intégration d’IRIS² donne une infrastructure satellitaire de connectivité protégé pour les usages militaires et civils critiques.
Stratégiquement, l’ERS marque une tentative de l’Europe de réduire sa dépendance technologique aux États-Unis ou autres acteurs étrangers. Comme l’a reconnu Aschbacher, disposer d’un satellite « ITAR-free » (sans composants soumis au contrôle des États-Unis) est un objectif, mais reste « très éloigné de la réalité ».
La mutualisation des capacités nationales et l’industrialisation européenne offrent aussi un avantage économique. L’ESA presse les États membres d’engager des budgets pour l’ERS afin de lancer « le premier livrable concret » avant que le cadre pluriannuel de l’Union (MFF) ne soit fixé. En termes de marché, l’industrie spatiale européenne se prépare à un volume accru de satellites et d’infrastructures associées : par exemple, certaines « NewSpace » européennes annoncent des usines capables de produire des centaines de satellites par an.
Enfin, sur le plan géopolitique, l’ERS peut devenir un élément de dissuasion et de souveraineté européenne dans l’espace. En équipant l’Europe de capacités spatiales de défense et de renseignement, elle modifie les rapports de force et les dépendances dans un monde de plus en plus compétitif.
Les limites, les risques et les défis à relever
Malgré les ambitions, plusieurs limites apparaissent. L’une des principales est le financement : l’enveloppe annoncée (~1,2 milliard d’euros) ne couvre que la première phase. Le programme complet, intégrant constellations, infrastructures au sol, opérations et maintenance, pourrait atteindre plusieurs milliards d’euros dans la durée. Une analyse indique que le projet de constellation pourrait évoluer vers un investissement de 4 à 6 milliards d’euros sur 10-15 ans.
Ensuite, la technologie : bien que l’architecture soit conçue pour être européenne, obtenir un système entièrement « ITAR-free » reste complexe. Des composants critiques restent soumis à des exportations américaines. De plus, le défi industriel est de taille : construire une constellation à haut renouvellement (image toutes 30 minutes) exige des centaines de satellites, un lancement fréquent, une logistique et des traitements de données massifs.
La coordination entre États membres est un autre point de fragilité. Le concept de mutualiser les systèmes nationaux existants implique des compromis sur l’accès, les priorités nationales et les politiques de partage des données. Comme l’a noté Aschbacher, « nous restons trop fragmentés ».
Par ailleurs, la menace symétrique ou asymétrique ne disparaît pas : disposer d’un satellite d’observation ou d’un système de navigation ne suffit pas si l’adversaire dispose de contre-mesures, de brouillage, de cyber-attaques. L’intégration opérationnelle (exploitations, traitement, diffusion) devra être au niveau militaire.
Enfin, la production industrielle à grande échelle pose un défi : l’essor des « NewSpace » ne garantit pas encore une capacité complète à produire, lancer et exploiter des satellites militaires de façon compétitive face aux acteurs américains ou chinois. Le savoir-faire, la certification, la chaîne logistique restent à renforcer. Des start-ups européennes indiquent leur intention de produire des centaines de satellites par an, mais cela reste à concrétiser.
L’initiative European Resilience from Space est plus qu’un simple programme spatial : elle matérialise la volonté de l’Europe de combiner observation, positionnement et communication sécurisés, dans un cadre cohérent de souveraineté spatiale et résilience nationale. Le budget initial de l’ESA, l’architecture technique envisagée, la temporalité fixée à 2028 et la coordination transnationale font de l’ERS une priorité stratégique européenne. Toutefois, la route vers une flotte satellitaire autonome et militaire est semée de défis technologiques, budgétaires et industriels. L’Europe devra démontrer sa capacité à passer du concept à l’opérationnel, à construire un vrai système global et à le soutenir dans la durée. Le contrôle de son espace, hier largement dépendant d’alliés ou d’acteurs étrangers, pourrait devenir un pilier de son autonomie stratégique.
Sources :
Agence spatiale européenne (ESA) – « Europe turns to space to boost resilience » (28 octobre 2025)
Payload / “ESA Eyes 2028 with European Resilience from Space Program” (30 octobre 2025)
Space Intel Report – “ESA details proposed $1.4B investment in resiliency technologies” (28 octobre 2025)
Kratos Space / Space Intel Report – “ESA Wants Industry Ideas on ISR Network” (9 septembre 2025)
European Spaceflight – “ESA proposes €1B budget to align European space capabilities for defence” (date récente)
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