Le crash du Tejas à Dubaï bouscule production et contrats exports

HAL TEJAS

Le crash mortel d’un Tejas au Dubai Airshow fragilise HAL, interroge le calendrier de livraisons à l’Indian Air Force et met en pause le projet arménien.

En résumé

Le crash d’un démonstrateur HAL Tejas lors d’une présentation au Dubai Airshow 2025 a brutalement replacé le programme de chasseur léger indien au centre des débats. L’accident, qui a coûté la vie à un pilote de l’Indian Air Force, intervient alors que Hindustan Aeronautics Ltd. (HAL) s’engage sur des contrats de plus de 180 appareils pour l’Inde et espère imposer le Tejas sur le marché export. New Delhi et HAL qualifient l’événement “d’occurrence isolée”, tout en annonçant une enquête technique complète. En apparence, le calendrier de livraisons ne change pas. En réalité, le moindre retard d’expertises ou de modifications techniques peut peser sur une chaîne d’assemblage qui monte à peine en puissance. À l’export, l’effet est immédiat : Armenia a suspendu ses négociations pour l’acquisition de Tejas, mettant en difficulté des industriels de Israeli avionics engagés sur les radars et la guerre électronique.

Le rappel des faits et les premières réactions officielles

Le 21 novembre 2025, un Tejas monoplace s’écrase lors d’une démonstration de voltige à Dubaï, après une ressource à basse altitude suivie d’une perte de contrôle et d’un impact presque vertical. Le pilote, un officier expérimenté de l’Indian Air Force, est tué sur le coup. Des vidéos montrent un appareil qui semble répondre normalement jusqu’aux dernières secondes, ce qui laisse ouverte la question d’une défaillance de pilotage, d’un problème de commandes de vol ou d’un incident mécanique soudain.

Très rapidement, HAL publie un communiqué parlant d’“occurrence isolée” provoquée par des “circonstances exceptionnelles”, et insiste sur le fait que l’accident ne remet pas en cause la sécurité globale de la flotte Tejas ni le fonctionnement de ses lignes d’assemblage. L’entreprise affirme que son activité, ses finances et ses livraisons “ne seront pas affectées”.

Dans les heures qui suivent, le marché boursier réagit plus brutalement : le titre HAL perd jusqu’à 8,5 % en séance avant de se stabiliser, signe d’un doute réel sur le risque d’image et sur la confiance des clients export. Sur le plan opérationnel, l’Indian Air Force ouvre une enquête de type court of inquiry, avec participation de HAL et de General Electric, motoriste du Tejas. Tant que cette enquête n’a pas rendu de conclusions, il est peu probable que New Delhi modifie publiquement sa posture sur l’appareil.

La place du Tejas dans la stratégie aérienne indienne

Pour comprendre l’impact potentiel de ce crash, il faut rappeler le rôle du Tejas dans la modernisation de la flotte indienne. Conçu comme un chasseur léger multirôle, le Tejas doit remplacer des MiG-21 vieillissants et sécuriser une partie du volume de chasseurs nécessaires face à la Chine et au Pakistan.

Au total, l’Indian Air Force a commandé 40 Tejas Mk1, puis 83 Tejas Mk-1A dotés de radar à antenne active, de capacités BVR et de ravitaillement en vol. En septembre 2025, New Delhi signe un second contrat pour 97 Mk-1A supplémentaires, portant à 180 le nombre de chasseurs de cette version destinés aux forces indiennes, pour un montant d’environ 66 500 crores de roupies indiennes (plus de 7 milliards d’euros au taux courant).

Autrement dit, l’Inde a fait du Tejas son cheval de bataille pour réduire sa dépendance aux appareils russes et occidentaux. Le programme concentre des enjeux stratégiques multiples : protection du territoire, montée en compétence industrielle et crédibilité de la filière aéronautique indienne à l’export. C’est précisément ce triple objectif que l’accident de Dubaï vient fragiliser, non pas sur le plan technique à ce stade, mais sur le terrain de la perception et de la confiance.

L’impact réel sur la production et le calendrier de livraisons

Officiellement, HAL assure que le crash n’aura pas d’impact sur les livraisons en cours ou à venir. Pourtant, le programme Tejas sort à peine d’une longue phase de délais accumulés. Les 40 premiers appareils Mk1, initialement attendus en 2011, n’ont été terminés qu’en 2024. Les livraisons des 83 Mk-1A, qui devaient s’étaler jusqu’en 2029, ont déjà pris du retard, notamment en raison de la disponibilité des moteurs F404 fournis par GE Aerospace.

La montée en cadence reste un exercice délicat. Début 2025, les autorités indiennes communiquent sur un objectif de 16 à 24 Tejas Mk-1A livrés par an à partir de l’exercice 2025-2026, une fois stabilisée la production rate et le flux de moteurs. Dans la pratique, le plan reste dépendant de nombreux facteurs : sous-traitance, logistique, essais en vol, disponibilité des pilotes d’essais.

L’accident de Dubaï ajoute une contrainte supplémentaire. Même si l’enquête conclut à une erreur de pilotage, les autorités indiennes seront poussées à revoir les procédures de démonstration, les enveloppes de vol, voire certains paramètres logiciels des commandes de vol. Chaque modification devra être testée, validée, puis intégrée sur les appareils en production ou déjà livrés. Ce processus ne bloque pas nécessairement la chaîne, mais il peut ralentir la sortie d’avions “prêts au combat” pour l’Indian Air Force, surtout si des rétrofits s’avèrent nécessaires.

Le risque principal n’est donc pas l’arrêt de la production, mais la multiplication de micro-retards qui, cumulés, repoussent de quelques mois la pleine disponibilité des escadrons Tejas, alors même que New Delhi mise sur ces appareils pour remplacer des flottes en fin de vie.

Le gel arménien : un signal d’alerte pour les exportations

L’effet le plus immédiat du crash se manifeste à l’export. Quelques jours après l’accident, Armenia annonce la suspension de ses négociations pour l’acquisition de Tejas Mk-1A, un projet évalué autour de 1,2 milliard de dollars (environ 1,1 milliard d’euros).

Pour Erevan, ce gel ne signifie pas nécessairement une rupture définitive, mais il traduit une inquiétude concrète. Le pays, pris en étau entre Turquie et Azerbaïdjan, a besoin de moderniser rapidement sa défense aérienne. En se tournant vers le Tejas, l’Arménie cherchait un compromis entre coût, performance multirôle et équilibre politique vis-à-vis de la Russie et de l’Occident.

Le crash change la donne à court terme. Dans un contexte de forte tension régionale, aucun gouvernement ne peut se permettre de justifier l’achat d’un appareil tout juste impliqué dans une démonstration ratée, médiatisée par des vidéos virales. Même si la cause devait s’avérer non technique, le risque politique est jugé trop élevé pour signer maintenant.

Au-delà du cas arménien, c’est la crédibilité de l’export strategy indienne qui est touchée. Le Tejas devait être la vitrine d’un “Make in India” militaire capable d’aller chercher des marchés dans le Sud global, face aux offres chinoises, coréennes ou occidentales. Le premier crash mortel à forte visibilité internationale affaiblit ce récit, au moment où HAL espérait transformer le Tejas en best-seller sur les segments des chasseurs légers.

HAL TEJAS

Le rôle structurant des fournisseurs israéliens dans le dossier

Le gel arménien ne pèse pas que sur l’Inde. Le projet Tejas pour Erevan s’appuyait sur une configuration avancée avec AESA radar et suite de guerre électronique fournis par Elta Systems, filiale de Israel Aerospace Industries. Des sources arméniennes et israéliennes évoquent des montants significatifs pour ces équipements, intégrés dans la cellule produite par HAL.

Pour l’industrie israélienne, l’affaire représente un double revers. D’abord financier, puisque la suspension des discussions bloque une commande potentielle de radars, de systèmes de guerre électronique et de logiciels de mission. Ensuite politique, car Israël cherche à consolider sa position comme fournisseur clé de capteurs et d’avionique pour les flottes de chasseurs de taille moyenne, y compris ceux produits par des partenaires comme l’Inde.

L’épisode met en lumière la complexité des chaînes de valeur des programmes de chasseurs modernes. Un crash lors d’un meeting aérien à Dubaï ne touche pas seulement HAL et l’Indian Air Force : il rejaillit sur des sous-traitants étrangers qui n’ont aucune responsabilité dans l’accident, mais se retrouvent associés, dans l’opinion publique, à un programme présenté comme “à risque”.

Ce que révèle l’accident pour la crédibilité aéronautique indienne

Sur le plan strictement technique, il est trop tôt pour conclure sur une faille de conception du Tejas. L’appareil a accumulé des milliers d’heures de vol en service opérationnel et en essais, et l’Indian Air Force ne signale pas de série noire d’incidents comparables. Il serait donc excessif d’enterrer le programme sur la base d’un seul crash, aussi spectaculaire soit-il.

En revanche, l’événement révèle les fragilités d’un programme qui porte des attentes disproportionnées. Le Tejas doit à la fois moderniser la flotte indienne, consolider une base industrielle en montée de gamme, rassurer des partenaires étrangers et tenir un récit politique d’autonomie stratégique. Le moindre accident devient alors un test de crédibilité globale.

La réaction officielle, consistant à qualifier l’accident d’“isolé” avant même les conclusions détaillées de l’enquête, montre la pression qui s’exerce sur HAL. À court terme, cette posture limite la casse boursière et politique. À moyen terme, elle obligera l’Inde à jouer la transparence technique si l’enquête met en évidence un défaut logiciel, une limite de l’enveloppe de vol ou un problème de maintenance. Les clients export, présents ou futurs, demanderont des réponses chiffrées : taux d’accident par 100 000 heures de vol, volumes d’essais supplémentaires, modifications concrètes apportées au standard de série.

Pour l’Indian Air Force, l’enjeu est plus opérationnel que symbolique. Tant que les livraisons de Tejas Mk-1A sont limitées, le choc d’un accident reste absorbable dans la planification des flottes. Mais si la montée en cadence se confirme à 16–24 appareils par an, un doute persistant sur l’appareil pourrait déstabiliser la construction de l’ordre de bataille pour les années 2030.

Le crash de Dubaï agit ainsi comme un révélateur. Il montre que l’Inde est entrée dans le club des nations qui conçoivent et exportent leurs propres avions de combat, avec tous les risques d’image, de responsabilité et de dépendances industrielles que cela implique. La manière dont New Delhi et HAL géreront, chiffres à l’appui, l’après-accident dira beaucoup de la maturité réelle de l’écosystème aéronautique indien.

Sources :

– Reuters, “India’s Tejas jet-maker HAL calls Dubai crash an isolated occurrence”, 24 novembre 2025
– Times of India, “HAL falls 8.5% intraday after Tejas crash”, 24 novembre 2025
– The War Zone, “Fatal Crash Of India’s Tejas Light Fighter Mars Dubai Airshow”, 21 novembre 2025
– Wikipédia, “HAL Tejas”, version mise à jour en février et septembre 2025
– The Jerusalem Post / news.am, articles sur la suspension par l’Arménie des négociations Tejas et l’impact sur les fournisseurs israéliens
– Defence Security Asia, “Armenia suspends its USD 1.2 billion Tejas Mk-1A acquisition talks following the fatal Dubai Airshow 2025 crash”, 24 novembre 2025

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