La Suisse se tourne vers l’Europe pour ses chasseurs

La Suisse se tourne vers l’Europe pour ses chasseurs

La Suisse envisage d’écarter le F-35 US pour des avions de chasse européens, pesée stratégique et coûts supplémentaires.

La Suisse repense sa stratégie d’achat d’avions de chasse. Elle envisagerait d’abandonner le F-35 américain, acquis en 2022 pour 36 appareils, pour privilégier un modèle européen. Ce revirement fait l’effet d’un choc dans le milieu de la défense. Initialement présentés à prix fixe à 6 milliards de francs suisses, les F-35 sont désormais soumis à un surcoût possible de 1,5 milliard, validé par Washington. Le gouvernement helvète conteste cette hausse, parlant d’un malentendu ; une résolution diplomatique est en cours. Les voix pro-européennes estiment que ce retournement confirme la nécessité de se tourner vers un avion de combat européen. Le débat s’anime aussi sur le terrain industriel : la Suisse pourrait mieux négocier des transferts technologiques avec Dassault, Airbus ou Saab. En parallèle, une fronde populaire affiche 81 % d’opposition à l’achat du F-35, notamment en Suisse romande.

La Suisse se tourne vers l’Europe pour ses chasseurs

L’enjeu budgétaire et contractuel

La commande de 36 F-35A a été annoncée en 2022 pour un montant de 6 milliards de francs suisses, soit environ 5,06 milliards d’euros. Aujourd’hui, les États-Unis réclament jusqu’à 1,5 milliard CHF supplémentaires, justifiant cette hausse par l’inflation, l’augmentation du coût des matières premières et celui de l’énergie. Ce scénario ébranle les garanties de prix fixe annoncées par Armasuisse et validées politiquement. Les développements récents révèlent que les clauses contractuelles ne protègent pas la Suisse d’ajustements imprévus, contrairement à ce qui avait été avancé.

Ce flou contractuel alimente les critiques. Plusieurs parlementaires dénoncent une entorse aux engagements initiaux. Du côté des partisans d’un avion de chasse européen, l’argument financier devient central. Dassault ou Airbus offrent une meilleure stabilité des prix, un meilleur contrôle du calendrier, et la possibilité de négocier des retombées industrielles plus concrètes. Le Gripen E, bien que rejeté en 2021 pour des raisons de maturité technique, était accompagné d’un plan clair de partenariat. En comparaison, Lockheed Martin ne proposerait qu’un offset industriel de 31 %, loin des 60 % exigés.

Le choix technologique : Europe vs F-35

Le F-35A Lightning II est un avion de combat furtif de cinquième génération. Il propose des capacités avancées : radar AESA, fusion de capteurs, guerre électronique, armement air-air et air-sol de précision. Mais ces performances sont indissociables d’un écosystème numérique centralisé, piloté depuis les États-Unis. Les mises à jour, le support technique et les données logistiques dépendent du Joint Program Office américain et du système ALIS/ODIN.

En face, les industriels européens présentent des alternatives robustes. Le Dassault Rafale est un avion multi-rôle en service dans plusieurs forces aériennes, doté de missiles MICA et Meteor, d’une avionique évolutive et d’une charge utile polyvalente. L’Eurofighter Typhoon, déployé dans plusieurs armées de l’OTAN, dispose d’une plateforme évolutive et coopérative, notamment pour les missions de défense aérienne. Le Gripen E de Saab, plus léger et moins coûteux à l’heure de vol, offre un bon compromis pour des missions de police du ciel et d’intervention rapide.

Un avion de chasse européen réduirait la dépendance technologique vis-à-vis des États-Unis. Il offrirait une meilleure maîtrise des chaînes logistiques et une plus grande autonomie sur les mises à jour logicielles. En matière de vol en avion de chasse, la formation, la maintenance et l’adaptation au contexte alpin seraient plus facilement intégrés avec des industriels du continent.

Le volet politique et souveraineté

Le débat sur le choix du chasseur est aussi un débat sur l’indépendance stratégique. La neutralité suisse impose des restrictions sur l’usage d’un avion de combat dont le logiciel, les communications et le support opérationnel sont sous contrôle étranger. Même si Washington garantit un usage autonome du F-35A, le doute persiste.

Un sondage réalisé en juin 2025 indique que 66 % des citoyens suisses s’opposent à la poursuite du programme F-35. En Suisse romande, ce chiffre atteint 87 %. La méfiance vis-à-vis de Lockheed Martin s’explique par le coût, mais aussi par l’absence d’engagement clair sur les transferts industriels. De plus, l’usage de technologies classifiées américaines impose à la Suisse des conditions restrictives en cas d’exportation secondaire ou d’utilisation en coalition.

Un appareil européen favoriserait une approche intégrée de la souveraineté. Il permettrait à la Suisse de mieux s’aligner avec ses voisins immédiats, tout en conservant la capacité de décision sur les règles d’engagement. Dans un contexte où l’autonomie stratégique est de plus en plus valorisée, la solution américaine paraît de moins en moins compatible avec la doctrine militaire suisse.

La Suisse se tourne vers l’Europe pour ses chasseurs

Perspectives et scénarios

Trois scénarios sont étudiés par l’administration fédérale :

  1. Maintenir le contrat F-35, en exigeant une renégociation ferme du prix et des engagements industriels accrus. Cela implique de sécuriser un cadre juridique plus clair et de limiter l’exposition à des surcoûts futurs.
  2. Rompre le contrat en invoquant la clause de révision pour changement substantiel. Cette option entraînerait des pénalités, mais permettrait de relancer une consultation pour un avion de chasse européen, avec conditions plus favorables.
  3. Envisager une solution mixte, combinant quelques F-35 pour des missions de pénétration à haute valeur, et un parc plus large de Rafale ou Eurofighter pour les missions conventionnelles et la couverture du territoire.

Le calendrier joue contre Berne. Les F/A-18 Hornet actuellement en service doivent être retirés entre 2030 et 2032. Un retard ou une rupture de programme fragiliserait les capacités suisses de surveillance aérienne. À ce stade, toute décision doit prendre en compte à la fois les délais de production, les capacités de formation et l’intégration des systèmes de défense nationaux.

Le débat suisse sur le choix du futur avion de chasse dépasse la simple comparaison technique. Il engage la doctrine militaire, la politique industrielle, la souveraineté nationale et la crédibilité budgétaire du pays. À l’heure où les grandes puissances renforcent leur autonomie stratégique, la Suisse doit clarifier sa position : opter pour une dépendance transatlantique coûteuse, ou miser sur une intégration européenne plus équilibrée et contrôlable.

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