La renaissance d’un Concorde du XXIᵉ siècle : utopie ou défi technologique ?

avion supersonique

Exploration technique d’un avion supersonique moderne : propulsion, aéro, bruit, carburants, coûts, projets en cours et faisabilité des Concorde du XXIᵉ siècle.

En résumé

Recréer un « Concorde du XXIᵉ siècle » exige de surmonter les limitations historiques du Concorde (coûts, bruit, consommation, règlementation) en intégrant les innovations récentes : moteurs sans post-combustion, matériaux composites avancés, carburants durables, design de réduction du bang supersonique, commandes de vol modernes, et contrôles structuraux adaptatifs. Plusieurs acteurs (Boom, NASA/Lockheed avec le X-59, COMAC, Aerion dans le passé) travaillent à des avions supersoniques ou silencieux. Les défis technologiques restent colossaux : maîtrise thermique, bruit à l’atterrissage, certification, logistique, coût de développement (plusieurs milliards de dollars) et marché passager limité à des tarifs élevés (similaires ou supérieurs à la classe affaires). Si le concept reste encore pertinent à l’entrée du XXIIᵉ siècle, une part de l’avenir pourrait appartenir à des systèmes hypersoniques ou spatiaux (vaisseaux suborbitaux). Le pari : faire revivre le transport supersonique commercial dans un cadre rentable, durable et accepté par les régulateurs, ou basculer vers d’autres modes de transport ultra-rapides.

Le legs du Concorde : succès et échecs

Les erreurs structurelles à corriger

Le Concorde a été un exploit technique : vitesse de croisière près de Mach 2, altitude autour de 18 km (60 000 pieds), structures résistantes à la chaleur, matériau composites limités, moteurs à double flux avec post-combustion, etc.
Mais il a souffert de plusieurs failles :

  • La consommation excessive : par passager-kilomètre, le Concorde brûlait beaucoup plus qu’un avion subsonique classique, dans une ère de carburant bon marché mais à contraintes environnementales croissantes.
  • Le bruit supersonique (bang) : le Concorde ne pouvait pas voler à Mach 2 au-dessus des terres sans générer un bang audible puissant, ce qui l’interdisait sur de nombreux trajets.
  • Le coût d’exploitation élevé : entretien, usure, pièces spécifiques, cycles thermiques fréquents, contraintes sur les moteurs.
  • La capacité restreinte (environ 100 passagers) et le prix du billet très élevé — réservé à une niche de voyageurs.
  • Un accident en 2000, provoqué par une bande métallique sur la piste, a aggravé la daube médiatique et économique.
  • La réglementation et l’environnement : émissions, bruit à l’atterrissage, contraintes réglementaires croissantes n’étaient pas entièrement anticipées.

Pour un nouveau projet, il faut adresser chaque lacune historique tout en ajoutant les technologies du XXIᵉ siècle.

Concorde du XXIᵉ siècle

Les innovations nécessaires : propulsion, aéro, matériaux, carburants

Propulsion moderne : pas de post-combustion permanente

L’un des gros progrès attendus est l’élimination ou la réduction de la post-combustion continue lors du vol de croisière, pour limiter la consommation et le bruit. Au lieu de moteurs très “brûleurs”, on cherche des turbofans à supercroisière (capables de Mach > 1 sans post-combustion) ou des architectures hybrides.
L’entreprise Boom développe justement un moteur nommé Symphony, turbofan à double flux modéré, visant la supercroisière à Mach 1,7 sans post-combustion. Ce moteur devra gérer des températures, pressions, et rejets thermiques extrêmes.
L’admission d’air (intakes) devient critique : à haute vitesse, le flux doit être ralenti, comprimé, guidé vers le compresseur sans masquer d’instabilité. Une géométrie variable, des onduleurs et des volets adaptatifs sont requis.
La dissipation thermique est un défi majeur : les moteurs et les surfaces génèrent de la chaleur, il faut des circuits de refroidissement efficaces, souvent en utilisant le carburant comme puits thermique.
Enfin, l’usage de fabrication additive, d’alliages à haute température ou de matériaux céramiques avancées, peut aider à alléger les moteurs tout en supportant des contraintes extrêmes.

Aérodynamique avancée et contrôle du bang

L’aérodynamique de vol supersonique présente des défis : on doit minimiser la traînée, les ondes de choc, et les instabilités transsoniques. Le Concorde avait une aile ogive (delta) fine ; mais ce type d’aile est peu performant aux vitesses subsoniques d’approche. Il faut donc un compromis : ailes à double profil, morphing de voilure, surfaces adaptatives, ou principes de contrôle actifs.
La réduction du bang supersonique est un enjeu central. Le concept de “Mach cutoff” (ou vol sans boom audible) consiste à concevoir une forme d’avion et une trajectoire telles que les ondes de choc ne convergent pas vers le sol avec une intensité audible. Le démonstrateur X-59 de Lockheed / NASA vise à tester ce concept, en générant un “thump” faible (vers 75 EPNdB) au sol au lieu d’un bang puissant.
Des études récentes montrent que des ailes à empennage poreux, bords de fuite perforés ou surfaces amortissantes peuvent atténuer le buffet transsonique, aider la stabilité et réduire le bruit.
La maîtrise des zones de choc, des gradients de pression, des ondes de choc parasites nécessite des simulations CFD de pointe, tests en soufflerie et ajustements itératifs.

Matériaux et structures intelligentes

Un avion supersonique moderne doit être léger mais capable de résister à des cycles thermiques et mécaniques sévères. Les matériaux composites (fibres de carbone, composites renforcés, matrices thermodurcissables avancées) sont indispensables, avec des renforts métallo-céramiques pour les zones critiques (nez, entrées d’air, bords d’attaque).
Les structures peuvent être actives ou adaptatives : voilure morphing, surfaces commandées, actionneurs piézoélectriques qui ajustent la forme en vol selon la vitesse ou altitude.
L’intégration thermique (gestion de la chaleur émise) doit être pensée dans la structure (pièces qui peuvent servir de radiateurs ou dissiper les flux thermiques).
L’instrumentation embarquée (capteurs, diagnostics, algorithmes de contrôle) doit faire partie intégrante de la structure (capteurs embarqués, santé structurelle).

Carburants et durabilité

Le Concorde utilisait des carburants fossiles classiques. Aujourd’hui, pour être compatible avec les pressions environnementales, un tel avion devra utiliser des carburants durables (SAF – Sustainable Aviation Fuels) ou des carburants synthétiques à faible émission carbone.
Cependant, les SAF restent rarement disponibles en volume suffisant et coût élevé. Il faudra des filières industrielles massives pour les produire à coût raisonnable.
Une autre piste : carburants verts “e-fuel” (hydrogène synthétique, carburant à base de CO₂ capturé) ou hydrogène liquide directement utilisé comme combustible. L’hydrogène impose des contraintes de stockage (densité, cryogénie, isolation).
Enfin, l’efficacité énergétique globale (optimisation des cycles propulsion, réduction de la traînée, récupération thermique) doit être poussée au maximum, pour que le coût par passager reste viable.

avion supersonique 21ème Siècle

Ce que font les entreprises et projets actuels

Boom / Overture

Boom Supersonic est sans doute l’acteur privé le plus visible. Son démonstrateur XB-1 a récemment franchi le mur du son (atteignant Mach 1,1) dans ses essais, marquant une étape forte.
Le futur avion commercial est Overture, prévu pour croisière à Mach 1,7, transportant 60 à 80 passagers sur environ 7 870 km (environ 4 250 milles nautiques).
Boom prévoit un marché pour plus de 1 000 avions supersoniques d’ici 2035, avec des liaisons potentielles transatlantiques en 3 h 40 contre 6 à 7 h aujourd’hui.
Le moteur Symphony est en développement, avec des partenaires tels que Kratos, GE Additive et StandardAero. Il doit être capable d’une supercroisière et de brûler du carburant durable.
Cependant, Boom doit encore surmonter des défis techniques, de certification, de financement, de chaîne d’approvisionnement et de réglementation du bruit.

NASA / Lockheed : X-59 Quesst

Le projet X-59 (appelé aussi QueSST) est un démonstrateur construit par Lockheed Martin pour la NASA, visant à tester des formes “low boom” et des technologies de vol supersonique silencieux.
Il doit servir à convaincre les régulateurs (ICAO) de reconsidérer les restrictions de vol supersonique au-dessus des terres. Le X-59 vise à produire un bruit perçu au sol de ~75 EPNdB (“thump”) contre ~105-110 EPNdB du Concorde.
Sa première ligne d’essai est attendue pour 2025. Le moteur utilisé est un GE F414 modifié. Il est conçu pour voler à Mach ~1,4 à ~16 km d’altitude.
Si le X-59 convainc, il pourrait ouvrir la voie à un usage supersonique plus généralisé au-dessus des terres, ce qui ferait basculer l’équation économique.

COMAC (Chine)

COMAC a dévoilé un projet d’avion supersonique (Mach ~1,6) visant à surpasser le Concorde en silence, avec une portée plus grande.
L’ambition chinoise est de devenir un acteur majeur du transport supersonique pour concurrencer les Occidentaux. Le positionnement est aussi stratégique (technologie de prestige).
Ce projet est encore à un stade de concept ou de planification, avec beaucoup d’incertitudes financières ou techniques dans les prochaines années.

Autres projets (passé, annulé ou en veille)

  • Aerion : société américaine de supersonique civil, qui mettait en avant une technologie de “boom atténué”. Cependant, elle a fait faillite en 2021 faute de financements.
  • Syncom (JAXA / Japon) : le “Next Generation Supersonic Transport” du Japon visait un avancement vers des avions supersoniques plus silencieux.
  • D’autres programmes comme SST Quiet, High Speed Civil Transport (USA) ou les projets soviétiques (Tu-244, Tu-344) n’ont pas abouti à cause de contraintes financières ou réglementaires.

Ces projets illustrent les risques de coûts excessifs, de retards, de marché limité ou de résistance réglementaire.

Estimations de coûts, marchés et tarifs

Budget de développement

Un projet supersonique moderne requiert des milliards de dollars de recherche, développement, essais en vol, certification, infrastructures, chaîne industrielle.
Par exemple, un seul démonstrateur peut coûter plusieurs centaines de millions. Boom a investi plusieurs centaines de millions de dollars pour le XB-1.
La certification, les tests en vol, les essais acoustiques, la conformité aux normes (FAA, EASA) imposent des années et des coûts supplémentaires.
Le développement de moteurs spécialisés (comme Symphony) doit aussi inclure des bancs d’essai, des prototypes, des validations.
Les infrastructures aéroportuaires (pistes renforcées, airports adaptés à l’essence SAF, contrôles de bruit) constituent aussi un coût.

Prix des billets

Boom ambitionne que les billets pour Overture soient comparables à ceux de la classe affaires sur les liaisons transatlantiques.
Avec des coûts élevés d’exploitation, de maintenance et de carburant, les marges doivent être compensées par une tarification premium, une haute charge utile, une haute utilisation des appareils (beaucoup d’heures de vol par an).
Le marché cible restera une clientèle réduite (entreprises, VIP, professionnels), non le grand public.

Marché potentiel et volume

Boom estime un marché de plus de 1 000 appareils supersoniques à horizon 2030–2035.
Mais pour supporter le coût de développement, il faut une base d’opérateurs suffisante et un usage fréquent (haute rentabilité par vol).
La concurrence avec les avions subsoniques ultra efficaces (avec moteurs modernes, fuselages optimisés) constitue une barrière : si la différence de temps ne justifie pas le surcoût, la demande peut rester faible.
La réglementation du survol supersonique (interdiction sur terres, bruit, émissions) restreint les routes possibles à celles au-dessus des océans — cela limite le réseau utilisable.
Le scénario “optimiste” suppose une acceptation réglementaire accrue (via démonstrateurs comme X-59) et une adoption progressive des carburants durables à large échelle.

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Faisabilité, risques et horizon réaliste

Les écarts technologiques à combler

Les progrès sont nombreux, mais les défis restent massifs : maîtrise thermique, bruit, certification, coût de carburant durable, acceptabilité sociale.
L’intégration simultanée de multiples innovations (moteurs nouveaux, matériaux composites, contrôle actif, réduction de bang, SAF) multiplie le risque d’interaction négative.
Le calendrier est serré : les premiers avions pourraient arriver vers la fin des années 2020 ou début des années 2030 si tout va bien, mais de nombreux retards sont probables.

Risques économiques et commerciaux

Une entreprise supersonique doit sécuriser d’emblée des commandes sérieuses pour amortir le développement. Si les précommandes ne se réalisent pas, le projet peut échouer.
Le coût de l’essence (même renouvelable) reste un paramètre critique : si le carburant devient cher, l’avantage économique diminue.
La concurrence subsonique continue d’évoluer : avions long-courriers plus efficaces, fuselages optimisés, moteurs ultra-haut rendement, pourraient réduire l’écart de temps ou de coût.
Les réglementations environnementales peuvent évoluer (taxes CO₂, restrictions de bruit, quotas) et rendre le modèle commercial difficile.

Horizon plausible

Un “Concorde du XXIᵉ siècle” réaliste pourrait émerger d’ici 2030–2040, en commençant par des liaisons premium océaniques entre grandes villes.
Puis, si le concept est éprouvé, on pourrait étendre les routes sous conditions de réglementation, voire de levée partielle des interdictions de survol supersonique (via des technologies “low boom”).
Vers 2050–2100, ces avions pourraient être intégrés dans un réseau supersonique complémentaire aux avions subsoniques classiques.
Mais au-delà, l’avènement du transport hypersonique (Mach > 5) ou suborbital pourrait rendre le concept classique supersonique obsolète pour certaines liaisons long-courrier ultra rapides.

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L’avenir et les alternatives : vers le XXIIᵉ siècle

Hypersonique et suborbital

Le transport hypersonique (avions, planeurs, fusées) permettrait de franchir des distances plus grandes en un temps réduit. Mais il impose des contraintes extrêmes : réchauffement aérodynamique, contrôle structurel, coûts de carburant, poussée élevée.
Des concepts d’avions suborbitaux ou “point-to-point” (transport de ville à ville via un vol quasi spatial) sont étudiés, mais restent pour l’instant dans le domaine de la recherche.
L’enjeu sera la réduction des coûts de lancement, la réutilisabilité, l’ergonomie pour passagers (accélération, confort), la sécurité et la réglementation spatiale.

Concurrence des systèmes terrestres ou autres

Des technologies comme les trains à très grande vitesse (hyperloop, vactrains) peuvent concurrencer les avions supersoniques sur certaines distances (moins de 6 000 km).
Des systèmes de transport futuristes (tunnels pressurisés, tubes sous vide) pourraient offrir des alternatives compétitives sans les contraintes de l’atmosphère.
Les voitures volantes ou avions électriques de haute vitesse pourraient devenir des compléments pour les segments courts ou régionaux, réduisant la demande pour des avions supersoniques.

Une pertinence durable ?

Un nouveau Concorde doit être justifié par un avantage net de temps, tout en restant économiquement viable, acceptable pour les régulateurs, et durable sur le plan environnemental.
Si les défis technologiques sont résolus, ce type d’avion pourrait prospérer encore au XXIᵉ siècle. Toutefois, l’arrivée de modes de transport plus radicaux pourrait supplanter le concept classique supersonique avant qu’il n’ait pu s’établir pleinement.

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